Je Suis à L'Est !
quâintellectuel. Assez vite, lâunivers est devenu plus réel : avec lâaugmentation des doses, lâélargissement de la gamme de médicaments, jâai basculé physiquement.
A commencé un ballet interminable, qui a duré des années, de produits divers et variés. Je crois que jâai dû essayer à peu près tous les médicaments existants en pharmacie, sauf lâHaldol 4 (en persan, hal est lâ« état », et dol est en français juridique la « tromperie »). Lâun de mes titres de gloire est dâavoir été, plus tard, sans le vouloir ni le savoir, lâun des premiers en France à prendre de lâAbilify, la troisième génération de neuroleptiques.
Chaque produit avait des effets différents. Jâavais commencé, au début de ma carrière de « fou désigné », par le Solian à faible dose, 100 mg par jour, qui provoquait une simple somnolence et une incapacité à réfléchir. Dâabord à réfléchir sur les choses compliquées, puis sur des choses beaucoup plus simples. Toutefois, contrairement à ce quâon croit parfois et à ce qui est écrit dans certains ouvrages de médecine, la détresse émotionnelle et lâangoisse restent telles quelles, à ceci près que lâon ne parvient pas à les exprimer ou les suivre dans les processus mentaux. Dans mon expérience personnelle, je pense que la prise de Solian nâa pas réellement changé mon vécu intérieur ; en revanche, elle a créé un enfermement intérieur plus grand.
Les doses ont augmenté. Puis on a commencé à me prescrire les fameux médicaments correcteurs, lesquels ne corrigeaient ni les effets secondaires des autres comprimés, ni les leurs.
Ensuite, les doses de Solian ont beaucoup, beaucoup augmenté parce quâelles étaient inefficaces sur le fond de lâaffaire. Les effets secondaires neurologiques ont alors commencé à apparaître, et une ou deux fois par jour, tous les muscles de mon dos se contractaient très violemment et faisaient se tendre ma colonne vertébrale de manière absolument incontrôlable et particulièrement douloureuse. Ce nâétaient pas les moments les plus agréables de la journée. Je souffrais également dâune perte de contrôle de la mâchoire, qui sâimmobilisait dans des positions insupportables. Mes parents appelaient le Samu, sans grand succès. Mon discours tomba à zéro.
Au bout de deux ans à peu près, et face à ces difficultés, mon aliéniste constata que non seulement le Solian ne marchait pas (et moi non plus), mais que les effets secondaires étaient majeurs. Du jour au lendemain, mon « psy-bourreau » a dit : « On lâche le Solian et on passe au Zyprexa 5 . » Au début, on a un peu une sensation paradisiaque, parce que, quoi que lâon dise, par rapport au Solian, le Zyprexa est nettement plus évolué : plus dâeffets secondaires sur les muscles du dos et la mâchoire. Mais il a ses spécialités maison ! Lâune dâelles étant que, comme quasiment tout le monde, je dormais beaucoup, beaucoup, beaucoup. Quasiment tout le temps. à une époque, je dormais vingt-trois heures trente par jour. Le fait de me lever pour aller aux toilettes était une pensée particulièrement angoissante parce que, quand je me réveillais à moitié, je devais me rendre à lâévidence : il faudra vraiment que je me lève dâici quelques heures. Situations dâune ironie mordante quand on sait que le Zyprexa est souvent prescrit pour améliorer la sociabilisation des autistes.
Un autre effet secondaire était plus que le bienvenu chez moi : le Zyprexa fait grossir. Pour un anorexique, rien de mieux. Je suis passé en quelques mois dâun poids qui tournait autour de 59 kilos, ce qui nâétait guère flatteur pour quelquâun de près de deux mètres, à 110 ou 115 kilos. Et plus.
Toutefois, la malédiction continuait : seul, le Zyprexa ne marchait pas, bien que le patient, lui, marche un peu mieux. Ainsi, mon aliéniste a inauguré lâépoque des cocktails. Et pourtant. Il est bien connu quâon déconseille aux psychiatres de prescrire plusieurs neuroleptiques en même temps.
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