Je Suis à L'Est !
que mon interlocuteur avait caractérisées, sur un forum, de pathétiques.
Pour me faciliter la tâche, jâai adopté une stratégie du tac au tac : je mâadresse à mon interlocuteur comme il le fait envers moi. Sâil me donne du « Cher Josef », je fais de même avec son prénom. Sâil me tutoie, je le tutoie. La stratégie nâest pas parfaite, notamment avec des interlocuteurs féminins. Jâai observé à maintes reprises que quand on me donnait du « Cher Josef », et que, par conséquent, je répliquais par « Chère XYZ », la réponse ne contenait plus de salutation du tout. Comme si jâavais fait une gaffe. Le problème est délicat : dois-je être intrusif (en faisant comme mon interlocutrice) ou glacial (en faisant usage de termes très formels) ? Je ne sais.
Les sentiments
Une théorie très ancienne prétend que les autistes nâauraient pas de vie émotionnelle, ou alors assez pauvre. Il y a eu des tentatives de récréer chez eux, par des thérapies quelconques, une vie émotionnelle. Je crois quâil sâagit dâune grave erreur.
Les personnes avec autisme ont une vie émotionnelle comme tout le monde, certains, sans que jâose mâaventurer jusque-là , disent même : un peu plus riche que les autres. Leurs émotions peuvent sâexprimer différemment. Certaines personnes rient, pleurent, crient ; chez les autistes, cela peut être différent. De là sûrement la tentation de dire que la personne en face de nous ne ressent pas la même émotion lorsquâelle ne le manifeste pas de la même manière.
Sur le plan personnel, je pense avoir une vie émotionnelle assez riche. Je peux avoir plusieurs émotions qui se superposent ou qui coexistent au même moment. Mais je peux ne pas les exprimer ou les exprimer autrement. Les gens qui ont lâhabitude de me fréquenter savent peut-être mieux décoder mes comportements que des personnes nouvellement venues. Je suis assez frappé, quand je rencontre des jeunes avec autisme qui sont poètes, par la richesse quâils savent mettre dans un texte. Après tout, quand on lit les biographies des grands auteurs, des grands peintres, on peut se poser maintes questions, tant on retrouve des éléments bien connus.
Â
1 . Michel Audiard.
2 . Voir chapitre 6.
5
Ma toxicomanie
Il est temps de faire un aveu lourd. Je suis toxicomane. Il ne sâagit pas dâun jeu dâesprit, plutôt dâun dérèglement des mécanismes fondamentaux. Certes, les molécules impliquées ne sont pas nécessairement celles auxquelles un responsable du maintien de lâordre pense en premier â du moins vaut-il mieux pour la suite des choses dire ceci que lâinverse. Les dérèglements consécutifs, eux, sont du même ordre de gravité. Et les mécanismes dâaddiction analogues.
La mère et ses disciplines
Dans une interview datée de novembre 1979 et qui fit scandale récemment avec le changement de contexte autour de la pédophilie, Dolto expliquait que lâinceste du père était lu par sa fille comme une marque dâamour. Lâinceste maternel, quant à lui, ne peut, selon dâaucuns, avoir pour fruit que la psychose. Dâautres ont bien mieux montré que moi le sens à donner ou non à cet énoncé. Je me contenterai pour ma part de le reprendre ici sur le plan symbolique, ne serait-ce quâen raison du potentiel humoristique dâun pan de la psychanalyse.
Lâuniversité est communément, dans une métaphore sombrant peu à peu dans lâoubli, appelée alma mater , la mère nourrissante (« nourricière », diront les psychanalystes en herbe ou plutôt en couches, pour jouer avec « souricière »), tandis que ses élèves sont les nourrissons (lâanglais a encore conservé le terme alumni au sens dâanciens élèves »). Nourrisson de la mère en question, ce qui devait arriver arriva : je me suis retrouvé pris au piège. Un piège lacté, donc délicieux. Et étrange, puisque dâordinaire, on attire la souris avec du fromage, ou un peu de compote sans gluten ni lactose pour les souris autistes, avant de la soumettre aux rigueurs du piège ; ici, lâapproche
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