Je Suis à L'Est !
fut difficile et laborieuse, contrairement à la suite. En somme, me voici éternel étudiant. Avec, à en croire certains, une psychose infantile en prime.
Lâun des temps forts de la vie dâun éternel étudiant â peut-être lâéquivalent de lâarrivée, à laquelle je nâai jamais rien compris, du beaujolais nouveau â est assurément la publication des programmes des cours des différentes universités situées dans son rayon dâaction. Il sâagit de lâune de mes lectures préférées. Chaque année, il y a les valeurs sûres et les autres. Les Business Schools offrent une mise en page qui attire le regard, mais dont le contenu laisse le nourrisson affamé et inconsolable. LâÃcole pratique des hautes études, à lâinverse, propose généralement le programme le plus ravissant. Décodage de manuscrits anciens, lecture dâouvrages dont lire le titre correctement est déjà un exploit, cours de langues dont je ne soupçonnais pas lâexistence. Avec en prime un traitement de faveur pour le nourrisson, puisque lâaffluence dans la salle dâalimentation dépasse rarement la dizaine de participants, lui épargnant donc maintes surcharges sensorielles. Peut-être que mon attrait pour ces cours provient dâun phénomène de miroir, leur marginalité étant à lâimage de la mienne ; je ne sais. Peu importent les explications, le fait est que je trouve autrement plus stimulant dâassister à un atelier de décryptage dâun manuscrit plutôt que dâaller dans un cours de certaines grandes écoles jugées prestigieuses. Ce qui mâintrigue, câest que, souvent, les personnes à qui jâexpose mon point de vue sont du même avis, sans pour autant sây adonner elles aussi.
Je garde par exemple en mémoire cet atelier de décodage commun de manuscrits de Qumran avec un jeune professeur allemand. Pour chaque session, nous recevions un fragment de texte scanné à préparer à la maison. En classe, il nous montrait comment il donnait sens à ce qui me paraissait nâêtre quâun défaut du support, ou alors un passage définitivement perdu.
Maths et histoire, ou comment on devient littéraire
Si lâon fait abstraction des centres dâintérêt non constitués en disciplines de mon enfance, depuis les constructions de baromètres ratés jusquâà la mémorisation de listes de noms dâanimaux australiens, les deux domaines qui ont peut-être eu un rôle structurant â le mot fait sourire tant une telle chose me fait désespérément défaut â ont été les maths et lâhistoire.
Les maths ont représenté pendant des années mon projet professionnel. Je savais même dans quelle université jâallais mâinscrire après le bac, et mon dossier était prêt. Câétait peut-être la matière universitairement reconnue où jâavais le plus de facilités. Je suppose que je mây sentais comme le musicien qui joue un morceau ou en compose un sans même songer quâil le fait, sans effort apparent. Les maths sont également moins exigeantes en termes de contacts sociaux : même en étant peu bavard, on peut travailler en groupe. Avec dâautant moins de stress que, sans vouloir faire de généralisations abusives, mais en en faisant quand même, les aptitudes sociales mises en Åuvre par nombre de matheux ne sont pas comparables à celles de, par exemple, leurs collègues politiciens.
De plus, les maths sont un domaine particulièrement varié, avec toutes sortes de branches, approches et méthodologies. Entre la topologie et lâalgèbre, par exemple, la diversité est probablement analogue à celle observée entre la linguistique chinoise et la géographie des Ãtats-Unis.
à certains égards, lâhistoire peut paraître lâinverse. Plutôt que dâénoncer des faits atemporels, on évoque des événements qui viennent et qui passent. Autre trait potentiellement gênant, lâhistoire repose sur lâusage dâune langue semi-littéraire, porte ouverte à toutes les dérives. Mon père aime bien raconter combien de fois au cours de sa seule scolarité lâhistoriographie de la grande révolution
Weitere Kostenlose Bücher