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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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apprendre. Or, on en conviendra facilement, apprendre une langue, et même savoir hypothétiquement la parler, quand on n’est pas conscient qu’on l’apprend ou qu’on la connaît, n’est pas normal. La fameuse image classique du roi qui occupe sa fonction douze heures par jour, et dort le reste du temps en s’imaginant manœuvre, et ce dernier, qui s’épuise douze heures par jour à la tâche en dormant le reste du temps et se rêvant roi, pourrait être reformulée : l’étudiant qui apprend un peu de tout en ne sachant pas qu’il fait, et l’être serein qui ne fait rien… chacun complétera. Si l’inaction du second peut paraître blâmable, l’activité du premier peut l’amener à son lieu naturel, à savoir le maintes fois abordé asile.

    Retour à l’exclusion ?
    Les contes de fées se terminent par une formule usée censée exhaler le bonheur. Sa critique, fort répandue, ne doit pas faire oublier la nécessité de faire, certes de diverses manières, de même. Il en va de la survie du récit. Malgré quelques contre-exemples, une histoire de la Belle au bois dormant qui, à la fin, échouerait à trouver son prince, n’intéresserait guère. Pour moi donc, évoquer un potentiel retour à l’exclusion n’est donc pas chose bienvenue. Peut-être que ce dernier reflète avant tout de sombres pressentiments personnels, aussi tentants qu’irrationnels. D’un autre côté, quel autre débouché final espérer à ma toxicomanie ? En faisant abstraction de la grande question de la réalité générale du processus, deux mécanismes me semblent devoir être évoqués. L’un manifeste, l’autre plus discret, mais plus vicieux.
    Le plus évident est ma difficulté, plus forte qu’avant, à pouvoir me définir. On affirmera que ceci est chose positive. Sur le plan littéraire, peut-être. Néanmoins, je suis bien pris au dépourvu chaque fois que je dois répondre à cette question, pourtant innocente, routinière et même amicale, de ce que « je fais dans la vie ». Je peux faire appel à une forme d’humour, détourner la question. Face à la même question toutefois posée avec sa froide assurance par un formulaire officiel, l’attitude à adopter ne va pas de soi. Ou du moins je n’ai pas réussi à dépasser ce blocage. Quand on me demande de répondre honnêtement à cette question dans un contexte officiel, où une seule réponse est admise – alors que bon nombre de réponses possibles me viennent à l’esprit –, je ne peux que me sentir en fraude.
    Il n’y a pas que les cas très formels des documents à remplir. Reprenons le cas des langues. À quoi un tel apprentissage me mène-t-il ? Je suis incapable de donner une explication cohérente autre que purement autobiographique à la liste des langues que j’ai étudiées à un moment donné. De plus en plus, d’ailleurs, je la dissimule. Il y a quelques jours encore, lors d’un cours d’ouverture, un professeur demanda qui connaissait des langues d’ici, à savoir d’Asie centrale. Mon tour venu, je dis un nom de langue. À la fin du cours, usages culturels obligent, je discutai avec ce prof et il finit par comprendre que j’en connaissais d’autres. Je citai encore quelques noms de langues. Il me lança, fort étonné : « Mais pourquoi ne pas l’avoir dit ? Ce n’est pas honteux… » Je ne savais que répondre. Il revint, comme prévu, à la charge quelques instants plus tard, en me demandant pourquoi j’avais voulu apprendre ces langues. À nouveau, gêne de ma part. Et encore, j’avais malgré tout respecté en partie mon principe de précaution en ne débitant pas toute la liste.
    Une autre situation analogue, où le potentiel menaçant de l’apprentissage se manifeste, tient à ma thèse. Si mes années de doctorat avaient commencé, aux problèmes médicamenteux près, par une approche relativement classique d’un point de vue disciplinaire, mes dégustations linguistiques ont promptement nourri ma thèse. Lui ont fait prendre des tournants imprévus. M’ont donné à maintes reprises

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