Je Suis à L'Est !
que, dans une autre famille, elle nâaurait pas paru anormale, nâaurait pas été « améliorée », et donc aurait vécu une vie bien plus épanouissante. Mieux : plus on monte haut dans les scores, réels mais surtout supposés, de QI, plus on frôle une forme de démence. Côtoyer des gens qui affirment avoir des QI stratosphériques, au-delà de toute valeur humaine, est une expérience. Leurs croyances sont souvent celles de gamins, leur comportement, affreusement banal, devient loufoque du fait de leurs tentatives de se distinguer de la masse. Bref, comme le dit un de mes amis, lâintelligence pourrait bien être circulaire : une fois que lâon monte trop haut dans les scores réels ou supposés, le mouvement ascendant fait retour à son origine.
Un autre facteur à prendre en compte est la variabilité des paramètres de la vie. Lâagressivité, par exemple, fluctue dâheure en heure chez chacun, bien que naturellement beaucoup de gens aient une sorte de référentiel plus stable. Quelle est donc la bonne valeur ? Il ne sâagit pas dâune question abstraite, ne serait-ce quâà cause du fait que bien des prises en charge en psychiatrie sont motivées par des considérations liées à lâagressivité. Non seulement le niveau dâagressivité moyen de chacun est différent, mais lâampleur et les motifs des fluctuations varient, sans même évoquer les modalités par lesquelles elle se manifeste. Parmi les justifications de la lobotomie de Rosemary ont figuré ses réactions hostiles au programme de cours particulièrement intensif et rigoureux qui lui a été imposé. Je doute pourtant que les autres jeunes de la famille Kennedy aient accepté un tel programme sans protester. Peu importent les faits : quand quelque chose ne se déroule pas comme prévu avec une personne handicapée, câest, non pas « sa faute », chose que lâon nâoserait dire entre pédagogues progressistes et humanistes, mais celle de son handicap, de sa maladie. Et doit à ce titre être éradiqué.
à lâhôpital psychiatrique par exemple, ou même dans un cadre psychiatrique en général, on peut assez facilement, dès lors que lâon accepte dâaller au-delà du discours lénifiant de la communication extérieure, constater que la plus grande partie des mesures de restriction ou de « soins » mises en Åuvre suite à un comportement agressif du patient découlent dâun changement exogène, qui ne relève pas de sa marge dâaction. à ceci près que ce comportement agressif induit devient la preuve apparemment irréfutable de la nécessité de poursuivre une procédure, et qui dans les premiers temps était en quête de légitimité. Pour le dire autrement, rien de plus évocateur à cet égard que la moue dépitée des agents de sécurité des magasins quand ils vous contrôlent à la sortie et quâils ne peuvent pas trouver dans votre sac dâobjet volé. Ou pour prendre lâexemple dâune amie avec autisme, qui a passé une bonne partie de sa vie dans les établissements psychiatriques, un de ses comportements violents envers le médecin qui lâavait enfermée dans un dortoir collectif avec dâanciennes délinquantes fort bruyantes et agressives a pendant longtemps servi de prétexte à lây maintenir.
Pour revenir à lâagressivité, étant donné que le niveau de chacun fluctue en permanence, à quel niveau fixer les paramètres pour me rendre « normal » ? La question est insoluble. Quand bien même on aurait la molécule idoine.
Dans lâatelier de Méphisto : en quoi se transformer ?
Alors, est-ce que jâaimerais changer, devenir « normal » ? Il y a dans la mythologie grecque plusieurs cas où, par exemple, un homme veut devenir une femme, juste pour voir, et redevenir ce quâil était, ou vice versa. Un thème assez populaire dans les mythologies en général. Moi, jâaimerais bien tester ce que signifie dâêtre japonais. Mais cette volonté est-elle éthiquement admissible ? Peut-on vouloir se modifier à volonté ? Est-ce humain, ou bien cela relève-t-il dâune forme de folie ?
Ce
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