Je Suis à L'Est !
mettre la main dans la bibliothèque municipale sur le « vrai » texte qui mâaurait en quelque sorte libéré du flou multiforme de sa genèse. Lâessentiel mâéchappait : réécrite et reformulée par chacun, lâhistoire sâadaptait aux enjeux de chaque période. Le drame central, celui de la nature du sujet principal, de sa comparaison avec les autres dâoù peut naître sa normalité ou anormalité, de la possibilité de lâimpact du premier sur celles-ci, reste présent dans chacune des versions de Faust. Comme ce mathématicien qui, face à une équation particulièrement ardue, la reformule de mille manières, ne sachant pas sous quelle forme elle donnerait être à une solution.
Supposons donc que Faust ait à décrire précisément dans son contrat les transformations que Méphisto mettra (ou non) en Åuvre. Une certaine illusion peut naître de la lecture des savants traités sur lâautisme : la parfaite description de ses traits qui y figure fait souvent croire que leur négatif serait en quelque sorte lâobjectif à atteindre et la voie de la normalité : ainsi, qui a un manque dâaptitudes sociales doit en acquérir davantage. Exemple simple à première vue ; et pourtant. Lâêtre humain, comme toute structure complexe, est un équilibre fragile entre dâinnombrables paramètres. Quelle main peut se savoir assez habile pour les modifier ? La chirurgie esthétique sây essaie ; malgré les sommes investies dans la recherche, en dépit de la compétence des meilleurs praticiens, dès lors quâelle retouche un peu trop les visages, ceux-ci deviennent inhumains. Il nây a pas de bricolage à volonté. La sourde conscience de cela a sans doute fait naître tous ces récits, du Golem à Faust en passant par Frankenstein pour nâévoquer que les plus classiques, au sein desquels lâéchec dâune excessive tentative de maîtrise de la nature sert de trame au désastre.
Revenons à notre exemple des compétences sociales. Supposons que lâon améliore les miennes. Sera-ce effectivement une victoire sur lâautisme ? Certaines personnes que jâai pu croiser dans le petit monde de la politique ont des compétences sociales hors du commun. Certains sont pourtant, ou plutôt à cause de cela, des personnages infects. Leur visage ne reflète jamais leurs émotions, mais constitue une sorte dâartifice permanent pour désarçonner lâautre et profiter du moment opportun pour parvenir à leurs fins. Leur grande aisance à séduire, dont on pourrait se féliciter, se traduit par de nombreux abus, et la présence quantitativement très au-dessus de la moyenne de déviants sexuels à des postes élevés est rarement abordée. Si donc on augmente mes compétences sociales, sachant que jâai déjà acquis un certain nombre de stratégies de compensation, je pourrais devenir diabolique. Ressembler à Fouché, avec qui je partage déjà le prénom, ou à Donald Trump, est-ce réellement un but enviable ? Un homme politique français de gauche mâa dit en privé, il y a déjà quelques années de cela, que si je nâétais pas autiste, je serais pire que Sarkozy, ce qui à ses yeux nâétait sans doute pas un compliment ; jâignore si cela est vrai, mais je peux me douter quâun tel personnage ne serait plus moi-même.
Prenons un autre exemple, plus aisément évaluable à première vue : le QI. En supposant que le QI soit quelque chose de réel, ce quâà mon avis il nâest pas, quâil y ait vraiment un paramètre QI chez les gens, à quel niveau établir la normalité ? La moyenne est de 100, mais souvent on affirme quâil vaut mieux avoir un score plus élevé. Faut-il viser les 130 ? 145 ? Jâai entendu dire que dans la famille des Kennedy, Rosemary, sÅur de John, le futur président, avait des compétences intellectuelles jugées « inférieures » par rapport au reste de la famille qui, à en croire lâopinion répandue, était particulièrement favorisée par la nature. Anormale, Rosemary fut donc, pour son bien naturellement, lobotomisée, avec des conséquences désastreuses. Alors
Weitere Kostenlose Bücher