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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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thème a beaucoup été exploré dans les écrits de la Renaissance, par Kafka, ou même par le cinéma à ses débuts. Il y a longtemps, pendant mon séjour en Allemagne, j’avais regardé quelques films parmi les tout premiers réalisés, dont le Cabinet du docteur Caligari . J’avais été impressionné par leur profondeur : les moyens, à l’époque, étant très limités ; avant de faire un film, les réalisateurs devaient avoir une conception profonde de ce qu’ils allaient dire et faire ; ils devaient compenser tous les problèmes techniques. Le résultat est assez bluffant. Les films en question débouchent immanquablement sur une impression de malaise innommable, une déstabilisation profonde. Tel était finalement peut-être le but du voyage : faire voir en quoi l’être normal est profondément anormal, en quoi la figure rassurante du docteur véhicule celle de la terreur, ou vice versa. Ce qui est dénoncé, ce sont ces résultats de l’excès, de la volonté de contrôler, d’acquérir le pouvoir de transformer et de se transformer.
    Je peux avoir des envies immédiates de me transformer en tout et n’importe quoi. Il n’en demeure pas moins que, d’un point de vue éthique, cela n’est ni souhaitable ni admissible. Des évolutions ponctuelles sont envisageables, mais avec une grande prudence. Et encore.
    Prenons un exemple, cette fois issu non pas de quelque ouvrage de fiction, mais d’une situation bien réelle. Je suis jeune, noir, américain, j’habite aux États-Unis. J’ai statistiquement plus de chances d’être en prison que d’avoir un emploi. Et je peux me faire tirer dessus à tout moment, les exemples dans l’actualité récente ne manquent pas. Inutile d’ajouter que ma situation est potentiellement problématique. Donc, avec l’aide d’un médecin fort puissant, mes futurs parents envisagent des pistes de transformation, rendus possibles par les progrès médicaux. On peut, premièrement, blanchir l’enfant, susciter des mutations génétiques pour qu’il soit « normal ». Ou alors, pourquoi pas, dans le cadre d’un programme national contre le racisme, déclencher des mutations génétiques sur la rétine des gens pour qu’ils ne voient pas la couleur noire de la peau. On peut imaginer, comme la France le pratique pour la trisomie 21, d’éliminer l’enfant à naître si sa peau s’annonce trop noire. Tout est possible en apparence.
    Le plus délicat reste, non pas de bidouiller les choses, mais de faire évoluer les mentalités. J’ai toujours trouvé fort révélateur le fait que, quand on demande aux esprits éclairés d’anticiper les mutations du futur, ils parviennent avec une certaine fiabilité à prédire les évolutions techniques, mais se trompent lourdement quant aux évolutions sociales ou culturelles. Les grands esprits de 1900 avaient assez correctement entrevu l’apparition, au cours du siècle à venir, des avions, de la télévision, des moyens de transport et de communication. Mais ils avaient lamentablement échoué à prédire la quasi-disparition des servantes et serviteurs de maison, par exemple. Ou à pressentir que les jeunes filles de bonne famille pourraient à l’avenir faire autre chose de leurs journées que d’attendre, en robe d’apparat, derrière un piano, leur prince charmant. Nos technologies de mutation de la peau des Noirs ou de la cervelle des autistes, dans quelques années, paraîtront aberrantes, avec le complexe mélange émotionnel de naphtaline surannée et de barbarie choquante que l’on ressent quand on lit des textes sur les recherches de la psychiatrie ancienne.
    On peut pousser l’ironie un peu plus loin. Dans les pays d’Europe de l’Est, il y a quelques années encore, quand un Noir arrivait, il était fêté comme une star. N’ayant jamais vu de Noir de leur vie, les gens le touchaient pour vérifier que sa peau était comme la leur, ou bien la grattaient pour voir si l’enduit supposé ne pouvait être enlevé. Alors que dans les années 1920-1930, quand des Noirs américains émigraient en URSS, attirés par la propagande qui présentait l’URSS

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