Je Suis à L'Est !
existe. Le schéma est souvent le même : les médias, une association ou un groupe dâintérêts dénichent un jeune (il faut que ce soit un jeune, les adultes et personnes âgées avec autisme nâintéressant personne), le prennent au dépourvu dans tous les sens du terme, le poussent sur le devant de la scène. On parle beaucoup de lui, puis il disparaît. Nul ne se soucie de son devenir. Dans la plupart des cas, hélas, il ne veut plus avoir affaire avec lâautisme ou les associations. Inutile de donner de noms, tant il suffit de se remémorer les grands moments de lâautisme médiatique de ces dernières années voire décennies, et dâessayer de se demander où sont passées ces personnes. On pourrait les nommer les « gueules cassées ».
Lâautre terme, moins déprimant peut-être, est « compagnon de route ». Un état dâesprit plus quâun statut, duquel jâai vaguement espéré une certaine solution aux troubles qui secouent le petit monde de lâautisme. La position dâun acteur qui demeure non institutionnalisé, non directement inclus dans le jeu des structures. Sans même faire cette ébauche de typologie, on peut constater quâune telle approche est spontanément adoptée en France par la plupart des rares personnes autistes impliquées en tant que telles dans lâactivité militante. Les adultes autistes investis sur la durée dans telle ou telle association dépassant par sa taille le groupement informel de trois ou quatre membres actifs sont à peu près inconnus au bataillon, bien quâil y ait eu quelques signes contraires au cours des derniers mois, à confirmer avec le temps.
Sur le plan de ma psychopathologie personnelle, lâexpression « compagnon de route » mâévoque par ailleurs un vague parfum désuet des années 1960 et 1970, lâexpression ayant été utilisée pour désigner une frange de personnes en marge du Parti. Je revois mentalement des photographies, aux couleurs délavées par le temps, de ces intellectuels parisiens dont aujourdâhui plus personne ne sait le nom, la posture hiératique figée, la main sur le petit foulard rouge bien mis en évidence sur la chemise. Et la fameuse, terrible question dâalors : « Dâoù tu parles ? » On la pose encore, dans certains cénacles. Dans les réunions formelles sur lâautisme â dont les deux seules missions effectives sont dâune part de présenter un nouvel interlocuteur officiel, qui en général nâa nul intérêt pour lâautisme et sait, comme les autres participants, quâil sera remplacé prochainement, et dâautre part de revoir le gratin de lâautisme, un groupe de gens, toujours les mêmes â, en les entendant débiter leurs titres et charges, on la remplace par la simple invitation à se « présenter ». Ce qui revient toujours au sinistre « dâoù tu parles ? » Compagnon de route, voilà lâune des rares (non-)réponses laissant une certaine liberté.
Le charlot, le bouffon et lâautiste
En vérité, il existe une bien meilleure réponse à la fameuse question. Une réponse quâune personne rencontrée récemment utilise, à laquelle je nâavais pas pensé, et dont hélas je ne peux me servir sans mentir : « marionnettiste ». Comment, après tout, mieux reconnaître la nature du petit monde de lâautisme que de lui redonner sa place première, au sein des arts du cirque ?
Incapable de manier les marionnettes, me restent les marottes et le rôle de bouffon. Câest dans ce rôle que jâai connu mes plus grands succès. Imaginez donc la scène : vous êtes, une fort longue journée durant, dans un fauteuil certes capitonné, à entendre les exposés monotones successifs de professeurs et docteurs invités à parler car ils étaient déjà là lâan dernier, et, chose qui nâest pas dite, mais que tout le monde sait, car leur conjoint est le cousin de celui qui remplit la caisse de lâassociation organisatrice présidée par la tante de lâami, et dont les comptes sont certifiés par lâépoux de la fille dâicelle. Devant conserver votre sérieux, vous ne
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