Je Suis à L'Est !
pouvez pas dire clairement que vous nâattendez que le moment où tout cela prendra fin. Et, préfiguration de cette fin tant attendue, vient le clou du spectacle : juste avant que les portes de la salle ne sâouvrent enfin, les grilles de lâarène sâentrouvrent et entre en scène la Vénus hottentote, pardon, plutôt son inverse, le maigrichon « autiste savant », selon les termes dâun présentateur.
Rassurez-vous, je connais mon (d)rôle. Je sais que le plaisir des gens fatigués ne tient que quelques minutes. Il faut être bref. Cela tombe bien, les organisateurs du colloque nâont laissé que quelques instants au « témoignage de Josef », en fin de journée sur le planning. Le temps de quelques boutades. Surtout ne pas oser expliquer un point de vue sur lâun des sujets traités â cela est réservé aux savants qui se sont succédé à la tribune, la réprobation serait unanime. Ironiquement, je crois que ce qui passe le mieux sont les propos incohérents, grammaticalement décousus et dénués de sens. Lâauditoire y voit-il quelque parole profonde ? Une preuve de la pathologie des autistes ? Un signe de sa propre grande sagesse, mise en lumière par le contraste avec lâincapacité du mis en scène ? Peu importe. Les gens seront contents, on vous félicitera pour votre propos et on fera du bruit en cognant violemment les extrémités des avant-bras (de loin les deux moments les plus stressants de tout le numéro). Avec un peu de chance, on vous remboursera vos billets de train, et parfois, ô miracle, quelques piécettes viendront garnir votre poche vide, de quoi déguster un « Banania â Yâa bon » bien mérité.
Deux regards sur lâautisme
Mais chut ! Tout cela ne saurait être dit aussi brutalement. Il faut le reformuler un peu autrement, pour que le propos passe. Pour que le discours « questionne ses fondements épistémologiques », comme on dit dans le jargon des sciences humaines. Pour quâil « articule les niveaux dâinteraction des synergies en présence et appréhende de manière proactive les mutations globales en cours », comme on disait à Sciences Po quand on ne savait plus quoi dire. En dâautres termes, à moi dâexposer à présent, de manière moins anecdotique, pourquoi on peut dire que lâon peut poser au moins deux types de regard sur lâautisme.
Le premier pourrait être appelé le regard scientifique. Il est celui qui émane des autorités instituées en la matière. Ses textes sont publiés dans les revues spécialisées. Leur signe distinctif est dâêtre, grouillants de sigles et de références, incompréhensibles pour la majorité des lecteurs. Et même parfois, de son propre aveu quand vous lâinterrogez en tête à tête, pour son auteur lui-même. On y apprend plus comment telle mitochondrie réagit face à telle molécule que comment accompagner ou aider un enfant autiste.
Le second regard est celui, non scientifique, du narrateur, de celui qui raconte â jâallais dire du conteur, colporteur ou griot, mais cela pourrait être mal compris. Les deux discours ne sont pas, à mon avis et tout bien considéré, si différents que cela. à commencer par le fait quâils sont tous deux souvent impossibles à prendre en défaut, chacun affirmant une chose et son contraire. Leur vocabulaire est certes fort différent, tout comme les sous-questions qui sont effectivement traitées. Le ton pareillement, beaucoup plus sec dans le premier. Cela étant, je ne crois pas quâil soit correct de les opposer tant ils se rejoignent. Je repense à cet ami linguiste, spécialiste en dialectologie : entre ce que racontent les petits vieux dans les campagnes et lâarticle universitaire, en apparence la différence est diamétrale. Toutefois, celui-ci naît de la fréquentation de ceux-là , dans lâécoute et le dialogue. Un article de recherche en dialectologie qui surgirait indépendamment de tout dialecte étudié serait gribouillis de fou. Hélas, il en est de nombreux aussi bien en dialectologie quâen sciences de lâautisme.
Le dilettante et la carrière
Inutile de préciser lequel des deux regards est
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