Jean sans peur
fussent aplatis. On n’entendit plus rien que les coups assenés sur la porte, du dehors.
– Qui frappe ? grelotta Saïtano. Sont-ils nombreux ?
Gérando haussa les épaules et répondit :
– Il n’y a qu’un homme dans la rue. Il porte l’épée.
– Tu es sûre qu’il est seul ? Qui est-ce ? N’est-ce pas un piège du prévôt ? – Silence, vous autres !
En parlant ainsi, le sorcier, rapidement, traversa les trois salles, arriva à la porte, sur laquelle, en dehors, on continuait à frapper, et il ouvrit un judas. Dans la nuit noire, il distingua confusément une ombre svelte qui s’agitait ; l’inconnu heurtait avec violence le marteau de fer.
– Qui êtes-vous ? dit rudement Saïtano. Passez au large…
– Non, par la mort du diable, c’est ici que j’ai affaire. Allons, ouvre !
– Au large, vous dis-je ! répéta Saïtano qui pourtant tressaillit au son de cette voix. Savez-vous à quelle porte vous frappez ? Savez-vous qu’il va être minuit, et que minuit c’est l’heure où les vivants n’entrent pas dans la demeure de Saïtano ?
– De Satan, veux-tu dire ! Mort ou vif, j’entrerai. Nous nous connaissons, mon maître. C’est pour la troisième fois que Hardy de Passavant franchira le seuil de cet antre.
– Hardy de Passavant ! rugit le sorcier.
– Oui. Ah ! Il paraît que ce nom est magique ! Il ouvre les portes !…
Le chevalier riait. Peut-être eût-il cessé de rire, malgré sa folle bravoure, s’il eût pu lire à ce moment dans l’esprit du sorcier. Saïtano tirait les verrous nombreux et compliqués, faisait tomber les barres, décadenassait les chaînes. Passavant riait de tout ce bruit de ferraille. Et à l’intérieur, dans les ténèbres, Saïtano riait, d’un rire silencieux, effroyable. Il songeait :
– C’est manifeste. Ce jeune homme m’est amené par les puissances qui veulent la réussite du Grand Œuvre. Sans cela, sa venue ici n’aurait aucun sens. Dommage ! Je le gardais pour ma vengeance. C’est lui qui eût frappé Jean de Bourgogne. Mais, bah ! Ce n’est pas Hardy de Passavant, c’est le mort qui vient reprendre sa place, c’est le mort qu’attendent les trois vivants. – Entrez, mon brave compagnon, ajouta-t-il humblement, dès que la porte fut ouverte.
Passavant pénétra dans la première salle, en laquelle, sur une table, Gérande déposait à ce moment un flambeau. En même temps, Saïtano refermait soigneusement la porte.
– Dites-moi, maître, fit Passavant narquois, je doute que l’enfer soit aussi bien barricadé que votre logis.
– C’est qu’il faut que je me défende, chevalier.
– Vous craignez donc les voleurs de nuit ?
– Non, chevalier, je crains les morts qui veulent ici entrer malgré moi.
– Eh ! par la Croix-Dieu, fit le chevalier un peu pâle, je suis vivant, moi !
– Qui sait ? dit Saïtano, froidement.
Hardy de Passavant sentit un long frisson le parcourir de la tête aux pieds. Mais, surmontant aussitôt cette faiblesse, il fixa un étrange regard sur Saïtano, et haussa les épaules.
– Je le disais bien, fit-il, mort ou vif. Assez ! J’ai à vous parler et à vous demander compte de certain mensonge…
Saïtano s’inclina.
– Daignez vous asseoir, fit-il. Prenez place dans ce fauteuil, seigneur chevalier, je suis à vous dans quelques instants… une petite opération à terminer… Vous m’avez interrompu au bon moment.
Passavant prit place dans le fauteuil qu’on lui désignait, ramena sa rapière en travers des genoux, et, tandis que Saïtano s’éloignait, lui cria :
– Prends ton temps. Je me trouve très bien ici, et, ma foi, j’y passerai le reste de la nuit…
– Oui ! dit Saïtano, qui disparut.
– Ainsi, continua le chevalier, ne te hâte pas de retirer du feu la chaudière où tu fais bouillir des têtes de crapauds, des vipères et des herbes maléficieuses.
Saïtano, dans la salle où attendaient les trois vivants, avait couru à l’armoire de fer qu’il ouvrit précipitamment. Il saisit un chiffon qu’il imbiba fortement d’un liquide incolore en ayant soin de ne pas respirer pendant qu’il se livrait à ce travail. Puis il plaça le chiffon sous son manteau rouge qu’il ramena prudemment par devant lui. Il avait une figure d’intense et lugubre rayonnement. Ses yeux flamboyaient. Il était effrayant.
Cette physionomie se transforma soudain lorsqu’il reparut devant le chevalier.
– Vous êtes
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