Jean sans peur
gens de justice. Mais il sera châtié. C’est une affaire entre lui et moi. Quant à ceux qu’il a armés pour frapper le malheureux prince, ils mourront de ma main. C’est chose promise, madame.
Isabeau écoutait, avec une stupeur mêlée d’effroi, cet homme qui se vantait de connaître les meurtriers et celui qui les avait armés… qui se vantait de préparer leur châtiment à tous…
Il y eut un long silence.
Passavant, paisible, attendait que la reine lui expliquât ce qu’elle attendait de lui. C’était justement ce qu’Isabeau ne savait pas elle-même.
En réalité, depuis l’instant où elle avait vu le chevalier sur la table de Saïtano, elle errait de vouloir en vouloir, sa résolution oscillait. Et pourtant, au fond d’elle-même, elle cherchait la haine sans la trouver. Elle s’étonnait, elle s’irritait de se sentir au cœur un sentiment qu’elle ne connaissait pas. Et ce n’était pas cette fougueuse passion qui l’avait jetée aux bras de ses amants, ni cette volonté puissante d’amour et d’ambition tout à la fois qu’elle avait offerte à Jean sans Peur…
Tout se contredisait et se heurtait donc dans sa pensée.
– Chevalier, reprit Isabeau, vous venez de dire des choses terribles… pour tous.
– Oui, madame, je le sais : savoir qui a tué le duc d’Orléans et dire qu’on le sait, peut-être est-ce plus dangereux encore que d’être le meurtrier. Je ne suis pas le meurtrier, madame. Mais je connais les noms des assassins et le nom de l’homme qui les a armés. C’est terrible pour moi. Je n’y peux rien.
– Et vous dites que vous voulez les punir ?
– C’est du moins une promesse que je me suis faite à moi, et que je leur ai faite à eux. Si je ne la tiens pas, c’est que j’aurai succombé le premier.
– Et les noms de ces hommes, vous ne voulez pas les dire ?
– Non, Majesté.
– Eh bien, dit la reine avec un accent de menace profonde, je vais les dire, moi. Les meurtriers s’appellent Guines…
– Guines est mort, madame !
Isabeau tressaillit. Une seconde, Passavant lui fit peur et lui apparut comme une de ces forces aveugles, suscitées par la fatalité, auxquelles il est inutile de résister. En cette seconde, peut-être, la peur fut-elle plus forte que l’admiration. Si Bois-Redon était entré à ce moment, elle eût sans doute donné l’ordre. Mais s’arrachant toute frissonnante à ces impressions nerveuses, elle continua :
– Les autres s’appellent Scas, Courteheuse, Ocquetonville ; sont-ils morts aussi ?
– Non, mais ils mourront. De la même main qui a tué Guines, ils mourront, madame.
Isabeau se leva. Passavant l’imita aussitôt et se tint debout dans une attitude de respect.
– Restez, gronda la reine d’une voix rauque. Restez assis. Je vous l’ordonne.
Il obéit, reprit sa position première, l’épée en travers des genoux. Il guettait la reine du coin de l’œil, et parfois souriait doucement en caressant sa rapière. Isabeau, quelques minutes, marcha lentement de long en large.
– Et quant à celui qui a inspiré le meurtre, dit tout à coup Isabeau en s’arrêtant près du chevalier, il s’appelle Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Taisez-vous. Écoutez-moi. Tâchez de me comprendre. Écoutez-moi avec votre âme, car c’est mon âme qui va vous parler… avec votre cœur et votre esprit, écoutez-moi, car ce que je vais vous dire, jamais je ne vous le redirai.
Haletante, à demi penchée sur Passavant, l’œil sombre et la lèvre ardente, Isabeau, en proie peut-être à une de ces brusques tempêtes de passion qui parfois se déchaînaient en elle, apparut au chevalier comme le génie du mal incarné dans une splendide image de femme.
Une violente émotion l’étreignit à la gorge. Oui, sa destinée allait se décider. Isabeau allait parler. Les paroles brûlantes qui de son cœur montaient à ses lèvres allaient tomber. À ce moment même, Bois-Redon entra.
Il faut dire qu’Isabeau ne prêta aucune attention à cette soudaine arrivée de son capitaine.
C’était un animal familier, une chose qui avait sa place dans le logis.
– Cet homme, dit-elle, ardente de sa passion, ce duc, ce Jean qu’on appelle sans Peur, je l’ai aimé. Me comprenez-vous ? Je veux dire que pour lui j’étais vouée au bien et au mal, à ce que Saïtano appelle le Bien et le Mal, comprenez-vous ? J’eusse été aussi bien inspirée par Dieu que par Satan. Je l’aimais. Je le lui ai
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