Jean sans peur
dit. Je lui ai promis l’empire du monde, et je lui eusse donné. Cet homme qu’on appelle sans Peur a eu Peur. Il m’a trahie.
– Oh ! songea le chevalier, est-ce qu’elle va maintenant me demander de tuer le duc de Bourgogne, comme le duc de Bourgogne me demandait de tuer Louis d’Orléans ? Majesté, dit-il en se levant, songez qu’on vous écoute !
– Qui ? Bois-Redon ? Il entend peut-être, mais il n’écoute pas. N’est-ce pas, Bois-Redon ?
Le géant s’avança d’un pas, s’inclina en signe d’assentiment et dit :
– Non, madame, je n’écoute pas, mais je venais vous dire…
– Tais-toi ! Tu me diras cela tout à l’heure. Ce Jean sans Peur, chevalier, n’est plus rien pour moi. Qu’il vive, qu’il meure, peu m’importe. Il n’est pas l’homme que je cherchais. Celui que je cherche doit être prêt à tout entreprendre pour sa propre gloire et pour la mienne. Il faut que je sois tout pour lui comme il sera tout pour moi. À cet homme, chevalier, j’offre la fortune la plus éblouissante qu’un chercheur d’aventures ait jamais osé regarder en face. Il ne serait rien, il n’aurait pour lui que son épée, son courage, son esprit… mais, pour le pousser s’il le faut jusque sur les marches du trône, il aurait mon amour… Mon amour, entendez-vous ? L’amour d’Isabeau ! Regardez-moi, et dites si vous en avez vu de plus belles à la cour de France. Aimée de lui, chevalier, aimée de cet homme que je cherche, capable d’élever son âme au-dessus des basses ambitions et des amours plus basses encore, capable de planer avec moi au-dessus d’une humanité que nous écraserions de notre mépris, aimée de lui ! Que ne pourrions-nous entreprendre à nous deux ! Écoutez… je vais vous dire…
Passavant, stupéfait, écoutait comme en rêve.
C’était le somptueux rêve d’une fortune qu’Isabeau pouvait bien appeler éblouissante. Lui, pauvre chevalier, sans sou ni maille – et même sans feu ni lieu – aimé d’une reine telle qu’Isabeau de Bavière ! Cela était le rêve.
La réalité, que Passavant saisissait vivante et vibrante au fond de lui-même, oui, c’était de l’horreur qu’il ressentait. La vérité aussi, c’est qu’il eût donné toutes les fortunes et tous les trônes pour un sourire de celle qui vivait en lui.
Il écoutait donc. Mais sa physionomie se figeait. Au coin des lèvres, son sourire sceptique apparaissait parfois pour s’évanouir aussitôt.
Ardemment la reine le considérait pour essayer de lire sur son visage. Et sur cette physionomie, elle ne voyait pas encore se lever l’émotion qu’elle appelait, qu’elle attendait. Un mouvement de rage lui échappa. Elle se pencha davantage.
– Eh bien, gronda-t-elle, savez-vous s’il existe au monde un homme tel que celui que je vous dépeignais ? Tel que celui que je cherche ?… Il faudrait que cet homme pût me comprendre, et pour cela il faudrait qu’il ne portât pas au cœur l’image d’une Odette de Champdivers.
Au même instant, Passavant fut debout, très pâle.
– Répondez donc ! grondait Isabeau. Est-il donc vrai que vous aimez cette fille ?
– Si je l’aime ? murmura le chevalier ébloui par ce mot beaucoup plus qu’il ne l’eût été par la fortune que lui avait offerte Isabeau.
– Vous n’osez donc pas le dire !
– Je le dis, madame. Par le ciel, je jure que j’aime…
– Par l’Enfer ! dit une voix stridente, prenez garde, chevalier ! Prenez garde à ce que vous allez dire !
La reine et Passavant, d’un même mouvement, se tournèrent vers celui qui entrait et parlait ainsi, d’une voix de menace et d’autorité.
Saïtano était là.
Il portait le costume que le chevalier lui avait vu en cette nuit de fête de l’Hôtel Saint-Pol.
La reine interrogea Bois-Redon du regard. Mais Bois-Redon leva les épaules en signe qu’il déclinait toute responsabilité. Et il murmura : « J’étais venu vous prévenir, mais vous n’avez rien voulu entendre. »
Le regard d’Isabeau se fixa ensuite sur Saïtano.
Quelques secondes, la reine et le sorcier se parlèrent, cherchèrent à se comprendre, à se dire des choses qui ne pouvaient être exprimées. Et sans doute Isabeau comprit.
L’intervention de Saïtano, c’était la mort de Passavant.
Saïtano n’était venu que pour tuer Passavant.
Voilà ce qu’elle se dit.
Et un mortel regret envahit son cœur. À cette minute où elle n’avait plus qu’à
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