Jean sans peur
fille ; elle nous procure mangeaille, buvaille, couchaille.
– Toutes choses qui vont au mieux avec Bruscaille et Bragaille, s’écrièrent les deux sacripants enthousiasmés.
– Et avec moi, fit Brancaillon déjà inquiet.
Il y eut une série d’énormes plaisanteries intraduisibles en langue moderne, et ils se mirent en route vers le logis de Marion Bonnecoste.
Cependant, le chevalier était entré dans le palais de la reine avec cette sensation très nette qu’il pénétrait dans un antre plus redoutable que celui de Saïtano.
Il avança donc, l’œil et l’oreille au guet, décidé à vendre chèrement sa peau.
– Et pourtant, se disait-il, pourquoi m’eût-elle sauvé chez le sorcier, si elle veut ma mort ?
Avec Isabeau, il entra dans la salle d’Imperia.
Il vit la reine se pencher sur la tigresse couchée sur les tapis et toute emmaillotée de linges. Le fauve râlait. Un homme veillait près d’Imperia. Il était chargé de renouveler les onguents et les compresses. Isabeau l’interrogea avidement. L’homme assura que la tigresse ne succomberait pas à ses blessures, et alors, avec étonnement, le chevalier vit pleurer la reine.
Des larmes de joie, peut-être… ou la réaction des violentes émotions de cette nuit.
En tout cas, ces larmes étaient sincères, et des sentiments moins hostiles s’érigèrent dans l’esprit de Passavant. La reine le fit alors entrer dans un petit salon d’une somptuosité, d’une richesse, d’une magnificence telles que le chevalier en éprouva malgré lui une rapide admiration.
– Asseyez-vous, chevalier, dit doucement Isabeau qui elle-même prit place sur les coussins de soie brochée d’or formant le siège d’un fauteuil.
Passavant obéit. Il se tenait sur ses gardes. Sans affectation, il plaça sa rapière en travers de ses genoux.
Une minute, Isabeau considéra le chevalier avec une attention non dépourvue d’intérêt.
Brusquement, elle demanda :
– Eh bien, chevalier, avez-vous retrouvé quels gens envahirent jadis le logis Passavant, selon ce que vous m’avez conté, et enlevèrent cette petite fille qui se nommait Roselys ?
– Attention ! se dit le chevalier. Il faut que du premier coup, je lui montre qu’elle ne me fait pas peur. Non, madame, je n’ai pas retrouvé ces gens. Mais j’ai retrouvé l’ange qui se pencha sur la petite Roselys, comme je vous l’ai également conté, et la sauva.
– Oh ! fit Isabeau avec intérêt. Et qui est-ce ?
– La très noble dame d’Orléans, dit froidement le chevalier.
Isabeau n’eut pas même un tressaillement. Elle continua de sourire.
– Mais, fit-elle de sa voix douce et chantante, que me disiez-vous donc que c’était moi qui avait sauvé cette petite, et qu’à cause de cela vous me vouliez offrir votre vie ? Ce n’était donc pas moi ?
– Non, madame, ce n’était pas vous. Je m’étais trompé.
– Vraiment, j’en suis fâchée. J’eusse été heureuse d’avoir été l’Ange une fois dans ma vie. Mais puisque ce ne fut pas moi, n’en parlons plus. Dites-moi mon brave chevalier…
Elle s’arrêta un instant. Elle était pareille à Impéria lorsque la tigresse préparait un coup de griffe et se ramassait prête à bondir. Le coup de griffe, soudain, partit, à fond.
– Avez-vous aussi retrouvé le véritable meurtrier de mon noble cousin d’Orléans ?
Le chevalier frissonna. Il comprit alors l’erreur qu’il avait commise en entrant à l’Hôtel Saint-Pol.
– Madame, dit-il, ce n’est pas à moi de rechercher l’assassin du sire duc d’Orléans. La justice de l’Official et celle du roi doivent suffire à cette besogne. Je sais, Majesté, ce que vous voulez dire. Que je suis accusé, moi, et que si on ne retrouve pas le vrai meurtrier, c’est moi qui serai jugé, condamné, exécuté. Soit, madame. Qu’on me prenne, si vous me livrez. Qu’on me juge, si vous traînez votre hôte au Châtelet. Qu’on me condamne, si vous m’avez appelé en votre palais pour assurer ma mort. Mais je vous jure sur mon âme, et de par mon nom, que le vrai meurtrier sera châtié. Même si vous me livrez, il sera châtié, madame, châtié par moi !
Isabeau, l’œil dilaté, le doigt tendu vers le chevalier, gronda :
– Ah ! Mais vous le connaissez donc ?
– Je le connais, madame !
– Qui ? Parlez ! Tout de suite ! Qui ?
– Madame la reine, dit Passavant, ce n’est pas à moi de dire son nom et de le dénoncer aux
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