Jean sans peur
Brancaillon. Mais celui-ci n’en avait cure. Le bon vin aidant, son exorcisme lui semblait de plus en plus merveilleux.
– Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? dit-il en se frappant le front.
– Eh bien, commencez donc ! dit le roi avec impatience.
– Sire… c’est une histoire ! Il faut que je vous la dise.
– Une histoire ! s’écria Bruscaille très inquiet. Une histoire n’est pas un exorcisme. Tu… vous nous la raconterez demain, révérend Brancaillon.
– Non, non, cria le roi, tout de suite !
– La voici ! dit le révérend Brancaillon.
Bruscaille et Bragaille échangèrent des signaux désespérés. Mais Brancaillon, superbe, se campa pour raconter, et le roi s’installa pour écouter.
– Il faut vous dire qu’en ce temps-là, j’étais amoureux de Marion Bonnecoste…
– Hein ! s’écria Bragaille indigné. Amoureux ! Un ermite !…
– Sire, dit précipitamment Bruscaille, avant d’être ermite, le révérend Brancaillon a porté la casaque et fait la guerre. C’est sûrement en ce temps que…
– Laissez, laissez, dit le roi en riant. Continue, mon brave. C’est toi qui me guériras.
– Là ! fit Brancaillon radieux. Donc, j’étais amoureux. Connaissez-vous Marion Bonnecoste, sire ?… Non ?… C’est étonnant, tout le monde la connaît, à Paris. Eh bien, c’est, ou plutôt c’était une bien belle fille, des yeux noirs, des lèvres rouges, une brave fille, sire, contre laquelle il n’y a rien à dire, si ce n’est que l’autre jour elle n’a pas voulu nous…
Ici, Bragaille marcha sur le pied de Brancaillon, mais cette fois si vigoureusement que le digne narrateur jeta un cri et comprit qu’il s’engageait dans une passe dangereuse.
– Bref, reprit-il, un jour, ou plutôt un soir, je me trouvai, je ne sais comment, tout triste et malade. J’avais des visions biscornues. Des diables me frôlaient, me touchaient de leurs doigts velus ; je les entendais ricaner en voltigeant autour de ma tête…
– Oh ! murmura le roi profondément attentif à l’énumération de ces symptômes, c’est tout comme moi !
– Tout à coup, continua Brancaillon, je sentis que l’un de ces démons s’était venu loger dans mon corps. Je l’entendis fort bien me crier des injures. Je retournai donc au cabaret d’où je sortais quand m’arriva cette pénible aventure et je me remis à boire dans l’espoir de noyer le diable. Mais le drôle était entêté. Plus je buvais, plus il se montrait insolent. Bientôt je me rendis compte que, sournoisement, il devait absorber mon vin au fur et à mesure que je buvais. Je sortis donc du cabaret, moitié pour ces motifs et moitié parce qu’on me jeta dehors sous le prétexte que je n’avais pas de quoi payer. Et cependant le démon qui m’avait choisi pour logis se remuait en moi au point que je pouvais à peine me tenir debout. Alors, j’allai chez Marion Bonnecoste…
Brancaillon s’arrêta net et rougit. Oui, il rougit, le pauvre hère, et demeura fort embarrassé.
– Allons-nous-en, dit Bruscaille, tu nous raconteras la fin une autre fois.
Mais le roi n’avait pas rougi, lui ! Le roi voulait guérir ! Le roi, comme tous les malades à cervelle détraquée, ne demandait qu’à croire ! Il intima à l’ermite l’ordre de continuer.
Et Brancaillon, se déchargeant de tout scrupule par un haussement de ces larges épaules :
– Sire, par où diable pouvait sortir le démon qui me tourmentait, sinon par la bouche ?
– C’est juste, par Notre-Dame !…
– Eh bien ! Marion me prit dans ses bras, la bonne fille, et, je suis bien forcé de le dire, je sentis ses lèvres sur les miennes. Or, qu’arriva-t-il ? Je me le demande encore ! Peut-être le démon fut-il étouffé parce qu’il manquait d’air ? Peut-être était-ce là un exorcisme intolérable pour lui ? Ce qui est sûr, c’est que je me trouvai parfaitement guéri, en suite de quoi, comme de juste, j’allai me confesser.
– Ah ! ah ! fit le roi toujours attentif, et que vous dit votre confesseur ?
– C’était un saint homme, et très savant, sire. Il me dit que l’exorcisme que j’avais employé était excellent.
– Oui, dit le sire pensif, j’ai souvent entendu parler d’un exorcisme qui consiste à faire aspirer par la bouche le démon de folie qui ne veut pas sortir.
– C’est cela, s’écria Brancaillon, c’est tout à fait cela ! Seulement, ce digne confesseur ajouta que
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