Jeanne d'Arc Vérités et légendes
pour ses douze ans (la majorité
selon le droit canonique), porte une devise franciscaine (Jésus-Marie).
Politiquement, les parents de Jeanne étaient armagnacs, comme tous les
habitants d’ailleurs, à l’exception d’un seul, Gérardin d’Épinal, à qui la
Pucelle aurait volontiers coupé le cou. Dans ce village de frontière plusieurs
fois attaqué par des Bourguignons trop proches, le loyalisme au dauphin était
général.
Et cette famille paysanne commençait à échapper à ce présent
sans mémoire qui est le lot de tous les paysans. Si Jeanne ne connaissait sans
doute pas le nom de ses grands-parents (contrairement aux nobles, elle n’a pas
d’aïeux ; aucune généalogie écrite n’en maintient le souvenir), ses
parents avaient fondé une messe annuelle au printemps, le dimanche des
Fontaines. Ils espéraient donc que leur nom leur survivrait. À défaut d’un
passé, cette famille en cours d’ascension sociale aurait un avenir. C’est
pourquoi Jeanne fut très soigneusement élevée. Elle apprit de sa mère les
prières, le souci des pauvres, les bonnes manières. Elle savait filer et tenir
une maison. Ce qu’on attend des filles en somme. En elle et en ses quatre
frères et sœur reposaient le destin et l’honneur de la famille. Quand son père
Jacques d’Arc apprit, on ne sait comment, que sa fille projetait de partir sur
les chemins avec les soldats pour aller en France, il réunit ses fils pour leur
proposer de noyer préventivement l’adolescente ! Aux yeux d’un père en
tout cas, l’honneur d’une fille de laboureur vaut autant que celui d’une fille
de roi. Quand Jeanne partit en France, elle fut vite suivie par ses deux frères
Pierre et Jean et par son cousin Nicolas de Vouthon, le cistercien. Ils la
protégeaient, l’accompagnaient partout (l’un de ses frères fut pris en même
temps qu’elle à Compiègne) et assuraient par leur présence sa bonne réputation.
Puis vint l’été et l’enchaînement des victoires. Dès lors,
Jeanne fut de moins en moins bergère et de moins en moins pauvre ! Elle
choisit elle-même une identité plus active : la « Pucelle ». Les
Armagnacs ne parlent presque plus de bergerie. Il en reste pourtant quelques
traces. L’une des voix de Jeanne, identifiée comme Marguerite d’Antioche au
procès, sans être bergère de profession, aurait gardé les moutons de sa
nourrice. Et quand la Pucelle fut prise, l’archevêque de Reims Renaud de
Chartres la remplaça par un petit berger stigmatisé originaire du Gévaudan, qui
n’eut pas le même succès et finit noyé « dans un sac en Seine ».
Face à cette thématique très champêtre, écologique et
formidablement réussie, puisque de nos jours certains croient encore que Jeanne
fut bergère, que firent les Bourguignons ? Adversaires de Jeanne et du
roi, ils hésitèrent entre émerveillement et dénonciation. Les Armagnacs dirent
qu’elle était bergère mais, « en vérité, tout ceci est faux ». Les
Anglais allèrent plus loin, la traitant de « vachère » (l’appellation
est plus ou moins synonyme de putain parce que, en latin, vacca « la
vache », est proche de vacatio, « l’oisiveté », laquelle,
c’est bien connu, est la mère de tous les vices…).
En revanche, ils s’intéressèrent peu à la pauvreté de Jeanne
et ne la contestèrent pas. Cette légende que les Armagnacs avaient mise en
place pour exalter le choix divin convenait aussi aux Bourguignons, qui
cherchaient à donner à cette extraordinaire aventure des motifs mercenaires. Il
est vrai que l’histoire de Jeanne est aussi celle d’une rapide ascension
sociale. Elle fréquente des milieux dont ses parents n’avaient même pas rêvé.
Pour les juges de Rouen, elle avait visé à la fois la gloire sur le champ de
bataille et la réussite temporelle. Elle voulait s’élever au-dessus de la
condition que Dieu lui avait attribuée à sa naissance. Ne possédait-elle pas
lors de sa capture plusieurs chevaux, un équipement coûteux et des biens valant
12 000 écus ? Jeanne, en effet, le confesse imprudemment le 27
février. Encore les juges ne savent-ils rien de l’éventuel achat d’une maison à
Orléans. Dans l’armée, les ascensions sociales sont rapides en cette époque
troublée. Des sommes considérables transitent entre les mains des capitaines,
qui doivent payer les soldes. C’est la défense de Jeanne et c’est probable. Il
est certain qu’elle s’est enrichie en 1429-1430,
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