Jeanne d'Arc Vérités et légendes
condition. »
À Rouen, le 12 mars, elle dit à ses juges : « Si
j’avais cent pères et cent mères ou si j’étais fille de roi, je n’en obéirais
pas moins à mes voix. »
Pour Jeanne, il n’y a rien à attendre des filles de roi.
Certes, la petite Marguerite d’Ecosse (née en 1425), dont on négocie le mariage
avec le dauphin Louis (né en 1423), apportera probablement à l’armée de
Charles VII quelques soldats supplémentaires et plus tard un héritier au
royaume. Mais c’est elle, Jeanne, qui sauvera la France. Un raisonnement
logique qui réaffirme la supériorité des liens avec Dieu sur toute parenté
terrestre et un raisonnement particulièrement bien adapté à la France, où les
filles de roi, exclues du trône, n’apportent à leur époux que du prestige et
une dot, et à leur fils qu’un lien au sang royal. D’ailleurs, on ne pouvait pas
vraiment dire que les sœurs de Charles VII l’avaient aidé. Michelle avait
épousé l’héritier de Bourgogne et Catherine le roi d’Angleterre Henry V,
Jeanne le duc de Bretagne. Seule Marie, abbesse à Poissy, lui était toujours
restée fidèle.
Toutes les filles qui ne sont pas bergères ne sont pas pour
autant filles de roi. Nul n’a pensé à Jeanne en ces termes avant le début du
XIX e siècle. C’est en 1805 que Pierre Caze, sous-préfet de Bergerac
depuis peu et féru de littérature, présenta sur ce thème une pièce à la
Comédie-Française qui ne fut ni acceptée ni jouée. Voulant donner une
explication laïque et rationnelle du phénomène Jeanne d’Arc à une époque où le
prophétisme s’essoufflait (le laboureur de Gallardon qui vint trouver
Louis XVIII est le dernier « inspiré » connu), il transposa
l’expérience de son temps : Lucien Bonaparte avait permis par son
intervention l’arrivée au pouvoir de son frère et leur victoire commune. Jeanne
serait donc la demi-sœur de Charles VII, qui lui aurait confié une armée
qu’elle mènerait au succès. Comme les frères et sœurs légitimes du roi Valois
étaient bien connus – et donc non multipliables -, Caze recourut au
procédé romanesque, courant au XIX e siècle, d’une bâtarde cachée
dans une lointaine campagne : Jeanne était la fille de la reine Isabeau
(épouse de Charles VI et mère de Charles VII) et du duc Louis
d’Orléans son beau-frère. Dans un second livre, beaucoup plus développé, en
1819, notre sous-préfet regroupa nombre d’arguments qu’on retrouvera par la
suite dans les livres de Jacoby en 1932, de Pesme en 1960, de Gay et Senzig en
2007. Sans grand succès d’abord, même si, sous le Second Empire, le duc de
Morny, fils illégitime de la reine Hortense et du vicomte de Flahaut, fut bien
élevé sous un autre nom dans une discrète famille bourgeoise, avant de devenir
l’un des ministres les plus influents de son demi-frère Napoléon III. En
fait, ces théories bâtardisantes connurent leur plus grand succès public durant
l’entre-deux-guerres ; depuis, les nouveautés sont rares.
Ce n’est pas pourtant que le Moyen Âge ait ignoré ce thème
de la femme ou de l’enfant que les circonstances contraignent à endosser
d’humbles habits. Il est fréquent, dans les romans de chevalerie comme plus
tard dans les livres de la Bibliothèque bleue. Déjà dans le Roman de Silence d’Helvis de Cornouailles, au XIII e siècle, la petite fille,
héritière d’un comté réservé aux mâles, s’habillait en garçon et faisait la
guerre. Plus tard, Geneviève de Brabant ou notre Peau d’Âne persécutée par son
père cachaient leurs boucles blondes ou leurs anneaux d’or sous le manteau
d’une servante. Toutes retrouvaient à la fin de l’histoire leur rang et leur
sexe après une palpitante scène de reconnaissance (qui supposait une marque sur
le corps ou un bijou conservé durant toute la période obscure). Pour la légende
de Jeanne, nos mythographes situent celle-ci à Chinon, où elle reconnaît moins
le roi qu’elle ne se fait reconnaître.
L’époque médiévale n’ignorait pas non plus la légende de
l’enfant échangé à la naissance, mais promis à de hautes destinées. Ainsi le Livre de Baudouin de Flandres raconte comment Jean Tristan, quatrième fils
de Saint Louis, fut enlevé à sa naissance par une esclave sarrasine et élevé à
Babylone par le sultan. Il s’illustre contre les chrétiens avant qu’un ange ne
l’arrête, en révélant le secret de sa naissance. Sur l’épaule droite,
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