Jeanne d'Arc Vérités et légendes
il porte
le signe royal. Il sauve alors l’armée chrétienne et devient roi de Tarse,
tandis que Philippe III regagne Saint-Denis.
Encore plus proche de la thématique de Caze, l’histoire du
« re Giannino ». En 1316, le seul fils de Louis X, le
petit Jean le Posthume, était mort après avoir régné une semaine. Des bruits
avaient couru qui faisaient de cette mort un empoisonnement. Mahaut d’Artois,
la marraine, aurait profité du baptême pour parvenir à ses fins. L’enfant mort,
son beau-fils Philippe V accédait au trône. Mais, en 1354, un jeune
Siennois prétendit être le petit Jean I er . La nourrice,
prudente, aurait mis son propre fils dans le berceau royal. Il mourut, mais le
petit Jean ainsi sauvé grandit dans la peau d’un marchand toscan quelque peu
mythomane. Après six années passées à réclamer sans succès la couronne,
Giannino fut enfermé dans les prisons provençales de la maison d’Anjou où il
mourut. Le roman Les Rois maudits de Maurice Druon en a repris
l’histoire. Aucun de ces enfants substitués n’était cependant bâtard, puisqu’il
fallait qu’ils eussent des droits au trône pour que la scène de la
reconnaissance ait un réel enjeu.
Ce que le lecteur ignore au XIX e siècle, c’est
qu’il y a beaucoup de différences entre le statut d’un bâtard à son époque et
celui de l’enfant bâtard au XV e siècle. Certes, l’Église, dans un
cas comme dans l’autre, dénonce la licence sexuelle et plaide pour le respect
du mariage. En principe, elle n’admet pas les enfants bâtards à la cléricature
puisque leur naissance est marquée d’une tache d’infamie. Mais, sur ce point,
il y a des arrangements avec le Ciel pour les familles bien placées. Le droit
ne leur est pas plus favorable, encore que leurs père et mère soient tenus de
les élever. De même, l’enfant bâtard ne porte pas le nom de son père et surtout
il n’a aucun droit à la succession sauf s’il est légitimé par la suite.
En pratique, la situation des bâtards dans les milieux
populaires est aussi difficile au XV e qu’au XIX e :
honte de leur mère, ils sont souvent abandonnés à la naissance. Ils sont exclus
du cercle de famille et fort vulnérables. Qui les tue ne paie pas d’amende,
puisqu’il n’y a officiellement aucune famille à qui la verser. « Et ta
mère et ta sœur… et toi le bâtard » est à l’origine de la majorité des
bagarres après boire.
Mais la situation est tout autre dans la noblesse, qui est
coutumière du fait. Les bâtards nobles sont nobles et facilement légitimés par
le roi. Ils portent les armoiries de leur famille avec une barre oblique (qui
est une brisure). Ils sont accueillis par la famille et éduqués. Plus tard,
certes, les filles se marieront avec une dot moins élevée et un mari moins
illustre que leur demi-sœur. Certaines iront au couvent (ainsi Eudeline, fille
de Louis X, à Longchamp). Les fils feront carrière dans l’armée royale où,
en période de guerre, les places sont nombreuses. L’armée de Charles VII
compte 4 % de bâtards nobles. Lorsque la vulnérabilité biologique des
familles est grande, et que les séjours en Angleterre en attendant la rançon
peuvent s’éterniser, le bâtard est bien commode. Il n’a rien (donc son
dévouement est assuré) et peut suppléer à tout.
Chez les ducs de Bourgogne, on trouve en trois générations
cinquante bâtards tous casés à de hauts postes et à des endroits
sensibles : David évêque d’Utrecht, Antoine Grand Bâtard au commandement
de l’armée, Corneille gouverneur du Luxembourg. Autrement dit, on ne peut guère
supposer à Jean sans Peur une hostilité particulière envers les enfants de ce
type.
Et, j’ai le regret de le dire, la famille d’Orléans est loin
du compte. Prenons le cas du Bâtard d’Orléans, le plus fidèle compagnon de
Jeanne. Jean est le fils de Louis d’Orléans et Mariette d’Enghien, mais c’est
Valentine Visconti qui lui a servi de mère. Les épouses nobles ont l’habitude
des nichées nombreuses : leurs enfants, ceux des unions précédentes, les
petits bâtards, les fiancés enfants de leurs filles ou fils. Quand les trois
demi-frères du Bâtard furent morts ou faits prisonniers ou otages en
Angleterre, c’est lui qui géra les biens et les intérêts de la famille. C’est
déjà un grand seigneur quand il défend Orléans, et encore plus après, bien
avant qu’il ne devienne comte de Dunois le 14 juillet
Weitere Kostenlose Bücher