Jeanne d'Arc Vérités et légendes
vie
pastorale est un état en marge potentiellement dangereux et se caractérise par
la pauvreté et l’isolement. En 1456, 14 habitants de Domrémy (sur 34),
interrogés sur les activités de Jeanne durant sa jeunesse, mentionnent qu’il
lui arrivait de garder le troupeau commun du village avec les autres enfants. À
cette époque, les paysans cultivent un peu de tout et aucun berger de
profession n’habite un village où l’élevage n’est qu’une activité d’appoint.
Contrairement à ce qu’affirment les mythographes, tous les témoins de Domrémy
n’ont donc pas « juré en chœur » que Jeanne était bergère. Et, pour
les témoins qui habitaient alors Rouen, Paris ou Orléans, le fait que Jeanne
soit bergère ne va franchement pas de soi. Seuls quatre d’entre eux (Jean
Moreau à Rouen, François Garivel, Raoul de Gaucourt et Guillaume de Ricarville
à Orléans) y font allusion : « Arriva la nouvelle du passage par Gien
d’une bergerette appelée Pucelle. »
Déposer devant Dieu met en jeu le sort de votre âme après la
mort. Le témoin médiéval y regarde à deux fois avant de mentir, contrairement à
ce que pensent les mythographes, prompts à dénoncer le mensonge si l’on ne
témoigne pas dans leur sens. Ce n’est donc pas dans les textes des procès qu’il
faut chercher pour trouver des mentions de Jeanne en bergère mais dans les
textes littéraires ou les chroniques émanant du parti armagnac. Et cela
seulement pendant quelques mois au printemps et au début de l’été 1429.
Jeanne fut dite bergère pour des raisons symboliques. Dans
la Bible, Dieu choisissait les prophètes parmi les bergers, allant chercher
Amos ou David derrière leurs bêtes. Les offrandes d’Abel le pasteur lui étaient
plus chères que celles de Caïn l’agriculteur. Dans le Nouveau Testament, les
bergers qui veillent dans les champs sont les premiers à connaître la bonne
nouvelle et à venir adorer l’Enfant, suivis par les Mages qui venaient
d’Orient. Si les exégètes firent assez vite des Mages des rois, pour les bergers
ils hésitèrent entre deux solutions : les bergers étaient-ils ceux qui
encadraient le troupeau, évêques, prédicateurs et bien plus tard les
rois ? ou bien les pauvres de ce monde élus par Dieu ? Cette dernière
solution triompha au XIII e siècle grâce aux ordres mendiants.
Désormais, bergers et rois sont unis dans cette scène fondamentale qu’est la
Nativité. En allant trouver le roi, Jeanne va donc rencontrer son homologue en
fonction. Charles aussi est le berger de son peuple. Sous leur double conduite,
le troupeau échappera aux loups anglais, il trouvera victoire et salut par
cette union paradoxale de la pauvreté de l’une et de la puissance de l’autre.
Cette image pastorale qui inspira nombre de contemporains
fut déclinée en quatre scènes types, que l’on retrouvera plus tard dans la
mythologie johannique de la Troisième République. Il y a d’abord la garde
miraculeuse. Quand la Pucelle gardait les agneaux, aucun, même les plus
fragiles, ne mourait sous sa surveillance. Quand elle était bien petite et
gardait les brebis, les oiseaux des champs venaient manger dans son giron,
quand elle les appelait. La source ici est la vie légendaire de saint François.
Mais il y a aussi l’« annonce ». Cette fois, Jeanne garde les brebis
dans les champs quand apparaît l’ange du Seigneur. Cette scène fictive ne
correspond bien sûr à aucune des déclarations de la Pucelle, mais c’est la
scène préférée des illustrateurs des manuels, las de représenter des scènes de
bataille ou des morts glorieuses !
Deux autres scènes proviennent de la littérature (où la
pastourelle est une forme poétique très appréciée). Jeanne fait ses adieux à
ses moutons pour se diriger vers un monde où la trahison et l’hypocrisie
règnent en maîtres, elle qui n’a connu jusqu’ici que la simplicité et
l’innocence. Plus tard, elle aurait avoué au duc d’Alençon son désir de s’en
retourner garder ses brebis plutôt que de risquer la mort sous les armes. Cette
nostalgie champêtre est-elle celle de Jeanne (qui sait pourtant que la vie
paysanne est dure) ou celle du témoin princier qui rêve sans doute de
bergère ?
Une chose est sûre : une partie du camp royal voyait
Jeanne en bergère, parce qu’elle était une prophétesse ou parce qu’elle faisait
partie des pauvres, qui étaient les élus de Dieu. Dans cette société très
fortement
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