Jeanne d'Arc Vérités et légendes
1386, sur le
tombeau de Pierre de Luxembourg à Avignon. Recluse, la visionnaire rencontre
pourtant le pape, la reine Isabeau et fait écrire à la fin de sa vie par son
confesseur douze de ses visions relatives aux tribulations du royaume et de la
papauté. À la génération de Jeanne surgit une seconde vague de prophètes liée
aux défaites et au honteux traité de Troyes. Quatre femmes et deux hommes nous
sont connus du côté du dauphin alors qu’aucun inspiré n’est repérable côté
anglais : soit parce qu’ils sont plus pragmatiques, soit parce qu’ils sont
victorieux ! Jean de Gand vient en 1422 trouver Henry V, dont il
prédit la mort à brève échéance s’il ne quitte pas la France – à juste
titre, puisque Henry meurt à la fin d’août -, puis le dauphin Charles, auquel
il promet un héritier. Le futur Louis XI naît quelques mois plus tard.
Originaire de la même frontière que Jeanne, cet ermite de Saint-Claude réside à
Troyes quand la Pucelle y passe. La cathédrale de la ville leur dédie
aujourd’hui une chapelle commune. Frère Richard est lui un cordelier disciple
de Bernardin de Sienne, qui prêche la réforme en fonction d’une fin des temps
qu’il estime proche. Son chemin croise celui de Jeanne à Orléans, à Troyes ou à
Reims. Catherine de La Rochelle est, suivant les moments, l’alliée ou la
concurrente de Jeanne. Elle fait apparaître à volonté une dame blanche qui,
dit-elle, sait détecter les trésors cachés (ce qui serait bien utile pour
financer l’armée !) et conseille la paix avec la Bourgogne. Jeanne veille
longtemps pour apercevoir celle-ci. Sans succès !
La Pucelle a bien des points communs avec ces inspirés qui
se pressent autour d’une royauté menacée. Tous et toutes appellent à une
réforme morale, car seul le reflux du péché permettra la victoire. Jeanne lutte
contre le blasphème, elle interdit les jeux de dés et chasse les filles
publiques de l’armée. La baisse des impôts qui avait préoccupé Pierre Hug ou
Jeanne Marie de Maillé est remplacée chez Jeanne par le souci des pauvres, dont
elle se dit l’avocate. Et la victoire contre les Anglais débouchera aussi sur
la croisade.
Le style même de leur message, qui mêle promesses de
victoire ou de lignée et menaces si le prince n’écoute pas, est identique. Et
jamais nous ne savons ce qui a été dit exactement au roi de la part de Dieu. Le
message divin, souvent critique, nécessite un tri préalable. Au roi de juger ce
qu’il faut divulguer, à lui aussi de savoir s’il donne suite. Par définition,
le message est un secret : « Ce qu’ils se dirent, seuls Dieu et le
roi l’ont su. » Par la suite, le prophète reste tenu à la discrétion. La
Bible le dit. Les secrets du cœur du roi n’appartiennent qu’à Dieu. Jeanne refuse
à Rouen de révéler ce secret et rétorque au juge avec insolence :
« Allez donc le lui demander ! »
Quand la prophétie s’écrit – ce qui est loin d’être
toujours le cas, la circulation orale est fréquente -, il y a deux
solutions : soit le texte n’est conservé qu’à un seul exemplaire, (ainsi
pour Marie Robine, le texte conservé par le manuscrit de Tours 520 émane de
l’entourage de Charles VII), soit il adopte un style parabolique et
obscur. Ainsi le secret est préservé ; la prophétie ne risque guère d’être
démentie, plusieurs sens pouvant lui être donnés. Et, avantage supplémentaire,
elle se réinterprétera plus tard facilement.
Un profil
particulier
Parole pour temps de crise, parole charismatique à l’écart
des institutions, la prophétie est portée par ceux qui sont exclus du
pouvoir : exclusion par l’âge (les prophètes sont très jeunes ou fort
âgés), le sexe (les femmes sont majoritaires), le milieu social (bergers,
paysans, ermites). Nombreux sont ceux qui viennent des périphéries menacées du
royaume. De celle de l’Est, où Jeanne naquit, viennent l’écuyer du Bassigny et
Jean de Gand, de celle du Sud, Pierre Hug, Marie Robine et Constance de
Rabastens.
Tous sont des pieux convertis menant une vie chaste,
pénitente et pauvre. Ils ont, un jour de péril, entendu une ou des voix. Ils
ont d’abord eu peur et refusé d’y croire. Mais la voix est revenue, obstinée.
Certains ont vu apparaître la Vierge ou saint Michel, tous deux protecteurs du
royaume de France. Seule une minorité élabore des visions complexes relatives à
la fin des temps. Ils verront le roi au
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