Jeanne d'Arc Vérités et légendes
sacrifié pour le salut de tous les hommes, la fille de
Dieu (les voix appelaient Jeanne ainsi) s’était sacrifiée pour le salut du
royaume. De son temps, elle fut bien considérée par les siens comme un Sauveur.
La prophétie avait été réalisée : la France perdue par une femme (Isabeau
de Bavière) avait été sauvée par une vierge. Dès le procès en nullité, une
interprétation à la fois nationale et christique de l’aventure de Jeanne sera
en place.
8
Trahie ou abandonnée ?
Certains Armagnacs ont pensé que Jeanne avait été trahie,
les Bourguignons sont évidemment muets sur le sujet. Durant tout le XIX e ,
c’est un thème majeur d’affrontements entre républicains et monarchistes,
catholiques et laïcs.
Jeanne pensa très tôt que l’année des merveilles pourrait
s’interrompre : « Je ne durerai qu’un an, guère plus », dit-elle
un jour avec tristesse. À Châlons, lors du retour du sacre, elle confie à l’un
des paysans de son village : « Je ne crains rien tant que la
trahison. » Au milieu des acclamations à Crépy-en-Valois, elle avoue à
l’archevêque de Reims « devoir mourir bientôt sans doute ». Que le
roi fasse prier pour elle. Cette mort qu’elle imagine n’est pas une mort
franche sur le champ de bataille, un risque qu’assument tous les guerriers,
mais une mort tapie dans l’ombre et dans son propre camp. « L’un d’entre
vous me trahira », dit l’Évangile.
Selon un texte des années 1500, au matin de sa capture, elle
réunit les petits enfants de Compiègne dans l’église. Elle leur dit de prier
pour elle, car elle sera bientôt trahie. Déjà, elle avait été vendue.
Cette obsession de la trahison plus que de la mort n’est pas
particulière à Jeanne. La société médiévale repose sur le serment : celui
que Charles VII a prêté à Reims, promettant à son peuple la paix et la
justice, celui que prêtent les nobles qui lui font hommage (Philippe de
Bourgogne le refuse, le traité d’Arras l’en exemptera), les évêques qui
viennent d’être élus ou les officiers qui entrent en charge. Depuis le début du
XV e siècle, l’instabilité politique a multiplié les serments comme
les occasions de ne pas les tenir. Jurer a toujours servi à faire la paix. Mais
ceux qui jurent le traité de Troyes – nobles, bourgeois parisiens,
universitaires – prêtent en même temps fidélité au gouvernement
anglo-bourguignon. Et voici que l’on se met à jurer les ordonnances royales les
plus importantes ou à renouveler les fidélités à chaque changement d’équipe.
Le serment, malgré les apparences, n’est qu’un instrument
fragile de cohésion sociale et politique. Qui jure en appelle à Dieu, faire un
faux serment est un péché capital qui vous expédie en Enfer. Jeanne elle-même
refuse de prêter trop souvent serment durant le procès de Rouen. Le parjure est
en quelque sorte un blasphème : qui fait un faux serment perd son honneur.
Aux portes de Paris s’affichent de grandes images peintes, pendues par les
pieds, qui représentent tous les chevaliers qui ont obtenu leur liberté pour
aller chercher leur rançon et ne sont pas revenus malgré leurs engagements. Il
y en a beaucoup.
Le meurtre du duc d’Orléans [45] en 1407 par les gens du duc de Bourgogne
avait montré qu’on ne pouvait plus désormais compter sur le serment pour
maintenir l’amour et la solidarité dans le royaume. En effet, trois jours avant
l’assassinat, Jean de Bourgogne et Louis d’Orléans s’étaient prêté mutuellement
serment de bon amour et avaient communié ensemble. Puis, Jean, en grand deuil,
avait suivi le cercueil de son cousin, avant de regagner prudemment ses États.
Plus choquant encore, son avocat, maître Jean Petit, avait défendu l’idée que
le serment pouvait très bien être à géométrie variable. Il avait multiplié les
exceptions. Les circonstances devenaient finalement souveraines en matière de
serment, ce qui n’était pas forcément très rassurant. En face, les Armagnacs
répondaient par la bouche du prédicateur Jean Gerson que, pour respecter ses
engagements, le roi Jean II était retourné mourir à Londres, comme Regulus
à Carthage.
Les Bourguignons devinrent alors des traîtres et la
« fausse Bourgogne » fut dénoncée dans nombre de textes armagnacs
bien plus souvent que les Anglais, même si ceux-ci étaient parfois suspectés de
respecter les paix qu’ils juraient de façon assez
Weitere Kostenlose Bücher