Jeanne d'Arc Vérités et légendes
catégories précises : superstitieuse, magicienne,
sorcière, tout est équivalent. Les Anglais ne s’intéressent qu’au
résultat : ils sont battus et, tant que cette fille protégée du diable
restera à la tête de l’armée royale, ils seront vaincus. Tant que le procès de
Jeanne durera, ils n’oseront pas donner l’assaut à Louviers, sûrs d’être encore
défaits. Il fallait que la fille meure pour que le sort soit rompu.
Les théologiens de Rouen, au contraire, étaient soucieux de
distinctions : ils accusèrent Jeanne de superstition, de pratiques
magiques et enfin de sorcellerie.
L’Arbre aux fées
Durant l’enquête préalable à Domrémy, les juges ont
découvert l’existence de l’Arbre aux fées. Ils posent trois fois la question, y
consacrent trois articles sur soixante-dix dans le Libelle d’Estivet et
le premier des douze articles préparatoires à la sentence. C’est dire qu’a priori la piste leur paraît bonne. Lors du procès en nullité, les
34 témoins du village sont interrogés sur ce qu’ils savent de l’Arbre aux
fées et des rapports de Jeanne avec celui-ci. Vingt-cinq répondent et 9 esquivent
la question : ils ne savent rien, ils ne l’ont pas vu, ils n’étaient pas
là, ils ne se souviennent plus.
L’arbre, un hêtre énorme, est situé en lisière du Bois
Chenu, sur le coteau qui domine la route vers Neufchâteau. À ses pieds, une
fontaine. C’est là, dit-on, que s’est jouée autrefois la fortune des seigneurs
du village. Pierre de Bourlémont l’Ancien y rencontra une fée qu’il épousa.
Elle lui donna richesse et nombreuse descendance. Mais il transgressa
l’interdit qu’elle lui avait fixé : ne pas la voir le lundi. Pourquoi le
lundi ? Notre fée était peut-être bien une morte, puisqu’on priait le
lundi pour les trépassés. La fée disparut alors, en laissant à ses filles trois
objets magiques (dont un anneau). Depuis, l’arbre est appelé Arbre aux fées ou
Arbre aux dames puisqu’elles y vivent. On peut les y voir parfois et leur
adresser des demandes. Chaque année, une grande fête y rassemble tant les
filles du village que les épouses et filles des seigneurs, le dimanche de
Laetare (premier dimanche après la mi-Carême), qui est le « dimanche des
Fontaines ». C’est une fête chrétienne (l’Évangile du jour est celui de la
multiplication des pains) et une fête agraire qui vise à protéger et multiplier
les récoltes. On y fait des guirlandes de fleurs pour les pendre à l’arbre, on
y mange ensemble et les jeunes dansent en rond autour. C’est un rite de
fertilité, attesté dans tout le nord-est de la France.
Jeanne, qui assure ne pas croire aux fées, dit n’y avoir pas
trop participé. Mais son frère Jean affirme « qu’elle a pris son fait et
sa mission à l’Arbre aux fées ». Catherine et Marguerite lui sont bien
apparues au bord de la fontaine, mais elle ne se souvient vraiment pas de ce
qu’elles lui ont dit en ce lieu. Les fées sont, en ce début de XV e siècle, des créatures ambiguës. Si les paysans croient encore aux bonnes dames
du village qui protègent les récoltes, les clercs les transforment
progressivement en mauvais esprits. Ces superstitions populaires, longtemps
admises, deviennent suspectes, ou plus précisément les clercs ne croient plus
aux fées. Mais il est probable que l’entourage de Jeanne était moins sceptique.
Ses parents ont fondé leurs messes en ce jour des Fontaines. Jeanne elle-même
est allée sous l’Arbre en dehors de ce jour. À Domrémy, il y a deux raisons
d’un ordre très différent pour fréquenter l’arbre. La première est le
rendez-vous galant. Avoir mauvaise réputation à cause de l’Arbre, c’est pour
les garçons courir les filles et pour les filles courir les garçons. Les juges,
qui viennent de faire faire un examen de virginité, n’en soupçonnent pas
réellement la Pucelle. L’autre est de parler aux fées. Celles-ci peuvent donner
à leurs élu(e)s le pouvoir de guérir (la fontaine guérit les fiévreux), la
richesse et la chance, puisque la mandragore pousserait sous l’Arbre. Jeanne
est-elle venue seule sous l’Arbre, y a-t-elle vu les fées, elle qui était la
filleule de Jeanne Aubry, « dont on disait qu’elle avait vu les
fées » ?
Ici intervient le témoignage capital de Jean Morel, parrain
de Jeanne et premier des 34 témoins du village au procès en nullité. C’est
sur ce témoignage que s’appuient les
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