Jeanne d'Arc Vérités et légendes
« Son démon
familier est, je pense, en sommeil. »
L’étendard de Jeanne pouvait faire l’objet de rumeurs du
même genre. Les juges le soupçonnaient d’avoir porté une image astrologique
(c’était en fait un Christ des derniers temps entouré de deux anges),
accompagnée de caractères (en fait Jésus-Marie). Tout cela passait pour
idolâtre et œuvre du démon. Et l’usage que Jeanne en avait fait n’était pas
meilleur. Elle avait paradé avec lui au sacre. Et, pis, elle aurait fait tourner
l’extrémité du drapeau autour de la tête du roi pour lui porter chance ou
rendre heureux son règne futur. Curieux, nos juges voulurent encore savoir si
l’étendard fonctionnait toujours, porté par un simple page. Et si Jeanne
portait une autre bannière (ils visaient celle du roi Charles évidemment), lui
transmettait-elle en la touchant les mêmes pouvoirs magiques ? Jeanne
répondit qu’elle aimait dix fois mieux sa bannière que son épée ; à Reims,
il était normal que le drapeau, ayant été longtemps à la peine, soit à
l’honneur. Mais ses descriptions de l’objet (dont elle avait affirmé dans
d’autres circonstances l’origine céleste) restèrent floues et elle dit ne pas
en connaître le sens. De toute façon, l’étendard était aux mains du duc de
Bourgogne et les juges ne le virent pas.
La sorcellerie en
question
Bien que la plupart de nos contemporains soient persuadés
que Jeanne fut condamnée pour sorcellerie, tel n’est pourtant pas le cas.
Certes, les juges y ont pensé et le préambule des soixante-dix articles mentionne
bien cette intention que la sentence ne retiendra pas.
Les juges tournent autour de la question : une fille
qui participe à des superstitions rurales est-elle une sorcière (dans ce cas,
il faudrait emprisonner et condamner une bonne partie de la population), une
magicienne ou bien une devineresse (mais ils n’ont pas réussi à le
prouver) ? Enfin, Jeanne est-elle une sorcière classique telle que les
clercs des années 1420-1440 sont en train de les inventer, ce qui signifie
pacte avec le démon, vol nocturne et sabbat ?
Les juges sont à peu près capables d’établir que Jeanne est
une devineresse. Elle ne se cache pas pour prédire l’avenir : grâce à ses
voix, dit-elle ; grâce aux esprits qu’elle convoque, pensent-ils. Ils
saisissent aussi une pratique à la limite de la divination et de la magie
blanche. À Saint-Denis, elle a fait allumer des chandelles dont elle a fait
couler la cire fondue sur la tête des petits enfants, leur prédisant ainsi leur
fortune future. C’est de la pyromancie, une pratique d’origine antique, bien
attestée à l’époque médiévale. Sainte Catherine et sainte Marguerite sont
souvent évoquées à cette occasion. Pourtant, il n’est pas question ici de nuire
à ces enfants mais plutôt de leur être utile. Les juges n’en reparleront plus
et Jeanne nie l’avoir fait.
Pour faire correspondre Jeanne avec le stéréotype en
formation de la sorcière, les juges durent réfléchir. D’un côté, elle était
jeune, rurale, illettrée, originaire des frontières. Les villages lorrains
avaient mauvaise réputation : « Plusieurs habitants y ont été notés
d’antiquité comme pratiquant des maléfices. » À l’époque moderne, il
s’agira d’un des hauts lieux de la chasse aux sorcières. En outre, elle vivait
sans l’appui d’une famille et sa réputation n’était pas bonne, si on interrogeait
le camp anglo-bourguignon. Mais, d’un autre côté, elle était bien jeune pour
faire une sorcière et elle était vierge, ce qui ne collait pas.
Les juges vont chercher quand même si elle n’aurait pas
conclu un pacte avec le diable. Ils ne soupçonnent pas un pacte explicite mais
un ensemble de gestes de vénération envers les voix (qui sont pour eux des
diables). Jeanne s’agenouille devant sainte Catherine et Marguerite, baise la
trace de leurs pas. Elle a même malencontreusement dit une fois avoir fait vœu
de virginité à ses saintes. A-t-elle consacré sa virginité au diable ?
Que sait-elle du vol nocturne des sorcières, qui, en
Lorraine, est situé le jeudi et non le samedi, et de leurs réunions ? Pour
Jeanne, ces « vols sont sorcerie » (sorcellerie) et elle n’y croit
pas. Le bruit a pourtant couru que Jeanne volait. La lettre de Perceval de
Boulainvilliers lui attribue des extases au-dessus du sol. Perceval de Cagny,
le greffier de La Rochelle, et les gens de
Weitere Kostenlose Bücher