Joséphine, l'obsession de Napoléon
lui fit adresser des paroles de réconfort.
Napoléon était-il devenu fou ?
Ce fut alors que se plaça l’étrange épisode Cadoudal.
Joséphine, sans doute pour une fois à l’insu de son époux, avait connu quelques mois auparavant le chouan qui allait tenter de fomenter un complot contre le Premier consul. Elle l’admit après l’exécution du terroriste. On venait de présenter à Bonaparte un portrait du condamné, le jour même de l’exécution, le 25 juin 1804.
— C’est lui…, murmura Joséphine.
Mais sans plus. Les regards se tournèrent vers elle, intrigués ; elle s’expliqua :
— Je connaissais si peu les dangers que l’Empereur pouvait courir à la Malmaison que j’ai accordé à ce personnage (dans mon petit salon) une audience particulière. Je ne vis dans cet homme qu’un royaliste qui me parut tout à fait changer de rôle : je me figurai qu’au lieu de me regarder comme l’épouse d’un usurpateur, il me considérait comme la véritable protectrice des émigrés. Dernièrement, je l’aperçus errant dans mes jardins. Il me fut rapporté à l’instant même que cet officier me désignait aux employés du château comme sa protectrice ; selon lui, je l’avais fait rayer de la liste fatale. Je trouvai cependant singulier de le voir sous les habits d’un invalide ; j’avais aussi remarqué, chaque fois qu’une voiture entrait ou sortait par la grille d’honneur, que ses yeux s’y portaient malgré lui. En apercevant Duroc, dont les pas se dirigeaient de son côté, ce même homme s’enfuit au plus vite. « Quel est cet inconnu à large face ? dit sur-le-champ l’Empereur. Aurait-il adopté un déguisement pour pénétrer ici ? C’est peut-être quelque espion, quelque fugitif… Il faut faire surveiller attentivement ce château, changer la consigne. Dubois est à la piste d’une nouvelle conspiration. Le projet est de m’enlever. Joséphine, ces gens-là se rattachent autour de vous par un sentiment de curiosité. Messieurs les émigrés s’empressent de revenir sur leurs pas, et leurs visages se dépouillent des signes de terreur qui y étaient empreints avant mon consulat. Voudraient-ils renoncer aujourd’hui aux bienfaits de l’amnistie… Oublieraient-ils leurs cris, leurs lamentations auprès de vous ! L’on m’avait cependant répondu de leur soumission. Voyez le 3 nivôse. »
L’impératrice avait prêté la plus vive attention à son époux : les tristes remarques de Bonaparte répandirent l’effroi dans son coeur… Elle lui répondit sans hésiter :
— Mon ami, les plans les mieux conçus, les mieux suivis, ne sont pas toujours couronnés par le succès…
L’Empereur resta étonné de ses réflexions ; il ajouta :
— Madame, si vos protégés oublient leurs serments envers moi, pour ne songer qu’à eux… De telles gens seraient indignes de tout sentiment de pitié. On regarderait votre bienveillante protection envers eux comme un acte de faiblesse, et de nouvelles preuves de clémence de votre époux seraient de sa part des actes de folie {18} …
Récit intriguant autant que révélateur ; on sait que Joséphine parvint plus d’une fois à faire rayer des émigrés voulant rentrer au pays de la liste des proscrits ou à obtenir leur grâce ; et dans un geste sentimental, mais révélateur, elle s’était fait remettre le chien du duc d’Enghien, qu’il promenait lors de son arrestation, et l’avait fait remettre à « une amie chère », sans doute Charlotte de Rohan-Rochefort, son épouse.
Elle apparaît donc comme une présence conciliatrice auprès de Napoléon, toujours prompte à intercéder pour adoucir l’esprit de vengeance de celui-ci et éviter des mesures trop dures ou fatales. Mais cet épisode ajoute un trait singulier à son personnage ; par une coïncidence extraordinaire, elle a accordé une audience particulière, c’est-à-dire un tête-à-tête, dans son petit salon, précise-t-elle, à l’homme qui exècre son mari, peu de temps avant la découverte du complot. Elle lui a inspiré tant de confiance qu’il s’introduit à la Malmaison quelques jours ou quelques semaines plus tard, sous le déguisement d’un invalide.
La date est surprenante : sans qu’on la connaisse exactement, elle se situe peu de jours avant l’arrestation de Cadoudal lui-même ; les propos de Napoléon en témoignent : « Dubois est à la piste d’une nouvelle conspiration. Le projet est de
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