Joséphine, l'obsession de Napoléon
m’enlever. » Cadoudal est donc retourné à la Malmaison alors que le complot était en cours. Folle audace. Qu’est-il allé y faire ? Reconnaître les lieux ? C’est l’hypothèse la plus vraisemblable.
Sa fuite à l’arrivée de Duroc démontre bien qu’il n’a pas la conscience tranquille.
L’incident ne revêtirait pas d’autre importance n’étaient d’autres points souvent négligés. Le premier est que Joséphine obtint la grâce de huit des accusés, notamment des Polignac et du marquis de Rivière, peut-être même de Cadoudal, qui refusa la sienne avec hauteur ; ces efforts devaient d’ailleurs lui attirer la réflexion de Napoléon :
— Vous vous intéressez donc toujours à mes ennemis ?
Le deuxième point est le soin particulier que prit Joséphine pour s’assurer de la sécurité de Moreau lors de son départ en exil. Certains conseillers semblaient, en effet, avoir formé le projet de le faire enlever et assassiner sur la route de Brest.
« Nous présumons qu’il périra avant de parvenir à destination », écrit Joséphine dans les mémoires publiés par Augustine Le Normand. Or une note de ce récit précise : « Joséphine trouva le moyen de faire recommander puissamment le général Moreau au premier major Henri, nommé par le colonel, chef de la gendarmerie d’élite, pour accompagner l’illustre exilé au lieu de son embarquement. Les ordres transmis étaient très sévères, surtout si l’on apercevait la moindre apparence de rassemblement sur la route que l’on devait parcourir. En cas de rébellion pour favoriser l’enlèvement du noble proscrit, il était enjoint à ce major de repousser la force par la force, et même de faire plus ! (Ses armes étaient chargées…) Moreau n’eut qu’à se louer des attentions délicates de son guide. L’infortuné général ne put ignorer que Joséphine avait veillé sur lui… »
Cela est bel et bon, mais la sollicitude de Joséphine pour Moreau ne peut être attribuée à la même solidarité qu’elle témoigna aux membres de l’Ancien Régime, puisque ce général était un républicain obstiné. De surcroît, Moreau était le rival de Napoléon et le seul autre grand militaire qui eût pu le lui disputer en popularité. Napoléon l’exécrait. Et elle avait sauvé la vie de ce rival.
On ne peut manquer d’en être troublé : au-delà de sa magnanimité et de sa bonté, Joséphine apparaît comme un contrepoint constant du personnage de Napoléon. Son pouvoir est plus grand qu’il y paraît, mais elle le dissimule presque ; elle s’en sert pour corriger secrètement les excès de son époux. Elle est pareille à l’ombre qui corrigerait la démarche de son propriétaire. Elle connaît ses faiblesses, qui s’accusent au fil du temps et se changent presque en infirmités, humeurs volatiles, agitation, vindictes quasi pathologiques, ambition qui vire à la mégalomanie, en plus de ses troubles physiques, crises de petit mal, migraines tenaces et, depuis quelque temps, ses douleurs du côté droit…
Mais son ombre le protégeait. Inquiète, certes, mais protectrice. Elle lui devait autant que ce qu’elle lui avait donné.
28
Débris sinistres au pied du trône
Le sacre : tout le monde y pensait, personne n’en parlait tant que Napoléon lui-même ne l’aurait pas évoqué. La première personne auprès de laquelle il l’évoqua fut Joséphine, pour lui révéler son désir secret : être couronné par le pape.
Administré par le représentant de Dieu sur la terre, le sacrement ferait de lui un monarque de droit divin.
Les Bourbons ne reviendraient jamais plus.
Mais le projet était si grandiose qu’il frisait l’impossible : déplacer le pape à Paris pour sacrer l’homme qui, peu d’années auparavant, avait malmené les États pontificaux ?
Joséphine avait conscience de participer désormais à la gloire de Napoléon. Cambacérès le lui avait signifié dans une adresse personnelle, quand les sénateurs étaient venus apporter à Saint-Cloud les actes officiels qui fondaient l’Empire :
Madame, il reste au Sénat un devoir bien doux à remplir, celui d’offrir à Votre Majesté impériale l’hommage de son respect et l’expression de la gratitude des Français. Oui, madame, la renommée publie le bien que vous ne cessez de faire. Elle dit que, toujours accessible aux malheureux, vous n’usez de votre crédit auprès du chef de l’État que pour soulager les
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