Joséphine, l'obsession de Napoléon
conscrits changeant de casquette sur ordre de leur commandant. L’Empereur ne vit rien du mécontentement qui se répandait dans le pays et sembla peu se soucier des révoltes qui éclataient lors des conscriptions. La guerre en Espagne était impopulaire : pourquoi diantre aller se battre au-delà des Pyrénées alors que la France n’était pas menacée ? Napoléon prétendait-il faire la police dans l’univers ?
Ces guerres sans fin saignaient le pays à blanc en hommes et en argent.
L’humeur du pays s’était gâtée. Certes Talleyrand n’était pas de mauvaise foi quand il assurait au tsar et à Metternich qu’il existait en France une opposition à l’Empire.
Lui qui avait le nez fin, il sentit le vent tourner.
36
La porte disparue
Napoléon ne resta pas longtemps à Paris : dix jours, le temps de préparer son armée à intervenir en Espagne.
La plus grande erreur de sa vie, de son propre aveu, mais reconnue bien plus tard.
Après Burgos et Somo-Sierra, il s’empara de Madrid. Puis il prit Saragosse. Fort de cent mille hommes, il s’apprêtait à affronter au Portugal les troupes anglaises, commandées par le même Wellesley qui avait infligé une dégelée à Junot.
Joséphine lui écrivit pour l’avertir des rumeurs persistantes du réarmement de l’Autriche.
— Je vois, mon amie, que tu es triste et que tu as l’inquiétude très noire. L’Autriche ne me fera pas la guerre, rétorqua-t-il.
Et la Russie ne l’abandonnerait pas. Les Parisiens étaient fous. Madame Mère, Laetitia, le prévint ensuite qu’elle s’inquiétait de l’invraisemblable alliance entre le Vice et le Crime, Talleyrand et Fouché, jusqu’alors rivaux et adversaires acharnés ; on les avait vus aux Tuileries aller bras dessus bras dessous. Cela révélait quelque chose de suspect. Madame Mère n’écrivait pas souvent, aussi fallait-il qu’elle eût de bonnes raisons de s’alarmer. Que les deux ministres se donnassent ainsi en spectacle était un fait significatif, leur union, un signal adressé aux ennemis de l’Empire et aux cours étrangères.
Le moral de la Grande Armée était en berne. Les soldats aussi se demandaient ce qu’ils faisaient dans ces pays dont la population les exécrait et leur tendait des traquenards. La France était en guerre depuis bientôt dix ans. Quand donc cela finirait-il ?
Napoléon fit quelques jours la sourde oreille à ces avertissements. Il tentait de réaliser un mariage de plus, cette fois entre Charlotte Bonaparte, la fille de Lucien, et le prince des Asturies, Ferdinand VII ; le projet échoua en raison du refus de Lucien. Puis Joseph revint à Madrid. Mais les dépêches confirmant le réarmement de l’Autriche se multipliaient ; le général autrichien Stadion réorganisait l’armée sur le modèle prussien. Napoléon laissa alors le commandement de l’armée d’Espagne à Soult, et reprit le chemin de Paris le 17 janvier ; il arriva le 23 à 8 heures du matin.
Les mois de février et de mars furent consacrés à la campagne suivante contre l’Autriche. Un épisode devenu célèbre s’y inséra. Napoléon avait appris l’objet du rapprochement entre Talleyrand et Fouché : la préparation d’un gouvernement provisoire à la chute de l’Empire. Ils avaient même adressé un message à Murat pour lui demander de regagner immédiatement Paris dans le cas où Napoléon serait tué.
Celui-ci n’était pas incliné à sévir contre Fouché, dont il pourrait avoir besoin par la suite et qui serait peut-être capable, s’il était disgracié, de disséminer des rumeurs fâcheuses. Ainsi, Caroline, épouse de Murat et reine de Naples, au moins aussi ambitieuse que son illustre frère, nourrissait bien l’espoir de faire succéder son mari sur le trône impérial ; telle était la raison de ses bontés pour Junot, gouverneur militaire de Paris, un allié qui serait utile dans le cas d’un coup de force. Pour le moment, la cour et Paris ne connaissaient que les escarmouches de Caroline avec Laure Junot, duchesse d’Abrantès, toutes deux maîtresses de Metternich. Mais si l’on apprenait que Caroline aussi se préparait à la fin de l’Empire, l’effet en serait beaucoup plus grave.
Talleyrand paya donc pour deux. Un soir, Napoléon l’apostropha devant témoins et se plaignit d’avoir été trahi par l’homme qu’il avait comblé de bienfaits ; il l’accusa même, en termes à peine voilés, d’avoir été l’instigateur de
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