Joséphine, l'obsession de Napoléon
question de la grossesse. Aucune n’avait suivi la première idylle, pourtant impétueuse de la part de Napoléon ; on se souvient qu’il avait violé la malheureuse comtesse ; et là, soudain, Marie Walewska est à peine arrivée qu’elle est enceinte. L’examen des dates est révélateur : Napoléon ne s’est installé à Schönbrunn qu’un ou deux jours après l’armistice de Znaïm, signé le 11 juillet 1809. Il y reçoit la lettre de sa maîtresse ; il y répond, courtoisement, mais sans chaleur, on le conçoit : d’abord, leur relation s’était interrompue au retour de Napoléon à Paris, ensuite elle était en droit de lui faire des reproches, aussi bien à titre privé qu’au nom de ses camarades patriotes.
« Oui, viens à Vienne, répondit-il, je voudrais te donner d’autres preuves de la tendre amitié que j’éprouve pour toi… » Elle écrit de nouveau qu’elle vient. Cet échange épistolaire dure bien une huitaine ou une dizaine de jours, ce qui mène à la fin juillet. Le temps du voyage de Varsovie à Vienne est de quatre jours. Marie Walewska est donc arrivée à Schönbrunn dans les tout premiers jours d’août 1809. Or, Alexandre Walewski, fils présumé de Napoléon, est né le 4 mai 1810 au château de Walewice, en Pologne. Admirable concordance des temps.
Mais quelle autre hypothèse proposer ?
L’absence de descendance de l’Empereur était un fait patent en Europe, et les rumeurs sur son peu de fertilité, que l’insolente Duchâtel lui avait jetées à la tête, ne couraient pas que de rares alcôves ; elles circulaient dans toutes les cours. Il est possible et même probable que Marie Walewska et ses amis aient conçu le projet suivant : s’il était possible de faire accroire à Napoléon qu’il avait bien engendré un enfant, son assurance générerait de la reconnaissance à l’égard de la femme qui lui avait enfin prouvé qu’il pouvait être père. Il deviendrait alors possible, moyennant quelque talent de persuasion, de ranimer le projet d’une Pologne indépendante, si commodément et si brutalement sacrifié à Tilsit. Mais ce projet exigeait de solides garanties : il ne restait qu’à trouver un géniteur également solide à la veille du départ pour Schönbrunn. Ce ne fut pas difficile, Marie Walewska étant fort jolie.
Elle ignorait à coup sûr la lettre que Napoléon avait adressée à Alexandre Ier, dans laquelle il l’assurait être d’accord avec lui : les mots « Pologne » et « Polonais » devaient être effacés à jamais. Toujours prêt à trahir sa propre parole, il répondait cependant à ceux qui l’interrogeaient sur la grossesse de la comtesse :
— L’enfant de Wagram sera roi de Pologne.
Bref, il dit tout et son contraire du même ton impérieux.
Joséphine apprit comme tout le monde à la cour la nouvelle de la grossesse de Marie Walewska. « Cette infidélité d’un époux qu’elle aimait toujours tendrement, écrit Hortense, la mettait au désespoir. La jeune femme devint enceinte. L’Empereur ne pouvait douter qu’il ne fût le père de cet enfant, et dès lors l’espérance d’avoir un successeur, s’il contractait une nouvelle union, acquit de la certitude à ses yeux. »
Le résumé de la situation que voilà est bref, bien trop bref, presque inhumain. Le seul mot qui évoque les souffrances de Joséphine, « désespoir », est presque vide. La grossesse de Marie Walewska rejetait Joséphine au rancart ; toutes les années partagées avec Napoléon, depuis sa première apparition à une soirée chez Barras, étaient chiffonnées dans le poing du destin, et bientôt elles seraient jetées au feu. Dès lors, les exigences dynastiques revêtaient une violence bestiale ; elles se résumaient à une sentence de mort.
Elle n’en douta plus : la naissance d’un deuxième enfant serait pour l’Empereur une preuve de sa santé sexuelle ; le divorce était imminent.
Une lettre de Napoléon, le 25 septembre, ne changea pas grand-chose ; en fait, elle ne disait rien de plus que l’éternelle duplicité amoureuse de son auteur :
J’ai bien reçu ta lettre. Ne te fie pas, et je te conseille de te bien garder la nuit ; car une des prochaines, tu entendras grand bruit… Adieu, mon amie, tout va ici fort bien.
Peut-être doutait-il encore de la fidélité de son épouse ; il avait maintes fois agité cette menace d’un retour inopiné. Mais que lui importait une éventuelle infidélité
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