Joséphine, l'obsession de Napoléon
espagnoles et d’y constituer des dépôts. Puis Junot avait conquis le Portugal, dont la famille royale avait fui au Brésil. En février 1808, en même temps que les troupes françaises occupaient les États pontificaux, Murat entrait dans Madrid avec une forte armée française, sous le prétexte de protéger les côtes espagnoles contre la flotte anglaise. Excités par le clergé espagnol, qui avait proclamé que Napoléon était l’Antéchrist et que la souveraineté nationale était foulée aux pieds, les Espagnols s’étaient révoltés à Aranjuez et le roi Charles IV avait été contraint d’abdiquer au profit de son fils, le prince des Asturies, désormais Ferdinand VII.
Napoléon, inquiet de son influence dans la péninsule, partit pour Bayonne, le 2 avril, escorté par trente-six voitures, où il avait invité Charles IV, son héritier Ferdinand VII, et leurs familles, ainsi que Manuel Godoy, le Premier ministre favori de la reine. Il autorisa Joséphine à l’y rejoindre ; il savait que la présence de sa femme assurerait la majesté nécessaire à la rencontre. Ils se retrouvèrent à Bordeaux le 10 et il la précéda à Bayonne le 14. Il y acheta sur-le-champ un château, celui de Marzac, pour 60 000 francs. On craignit que des enragés venus d’Espagne n’enlevassent l’Empereur ; des troupes furent donc mandées pour protéger le château, et Joséphine et ses dames de cour purent observer la vie dans le campement ; elles s’amusèrent de voir des soldats se promener avec le nez pincé dans un morceau de bois fendu en guise de pince à linge ; elles crurent, si l’on s’en réfère à Mlle Avrillion, que c’était un jeu appelé la drogue, alors que c’était la sanction pour ceux qui avaient perdu aux cartes.
Joséphine eut alors des raisons de croire que son influence demeurait donc. Elle se montra gracieuse avec la reine Marie-Louise d’Espagne, que sa femme de chambre, Mlle Avrillion, trouva « tout à fait laide » ; « avec sa peau jaune, écrivit-elle, elle ressemble à une momie ; elle a l’air faux et méchant, et il est impossible de se rien figurer de plus ridicule : à soixante ans, elle a une robe très décolletée et des manches courtes sans gants ; c’est dégoûtant ! » En fait, la reine d’Espagne était à moitié folle.
Le roi n’était pas plus accort : il ne mangeait pas, il bâfrait. Ne buvant que de l’eau, il faisait disposer à table trois carafes, l’une d’eau glacée, la deuxième d’eau chaude et la troisième d’eau à température ambiante, et passait son temps à faire ses mélanges.
Pendant le séjour de Leurs Majestés à Bayonne, Murat écrasa l’insurrection à Madrid ; ce furent les massacres du Dos de mayo, illustrés par Goya. Napoléon réussit alors un exercice extraordinaire : il persuada Ferdinand VII de renoncer à sa couronne, puisque celui-ci ne l’avait obtenue qu’à la faveur de violences, et de la rendre à son père. Sur quoi Charles IV mit la couronne à la disposition de Napoléon. Celui-ci la proposa d’abord à Louis, mais, toujours grincheux, il se scandalisa d’être déplacé comme un sous-préfet. Napoléon la donna alors à Joseph. En compensation, Charles IV recevait le château de Compiègne et une liste civile de 7,5 millions de francs, tandis que le prince des Asturies était expédié au château de Valençay, sous la tutelle de Talleyrand.
Joseph échangeait une couronne contre une autre, celle de Hollande contre celle d’Espagne.
L’apparente victoire diplomatique et politique en Espagne avait son revers car le parlement espagnol, les Cortès, proclama la résistance nationale. Les Asturies et l’Andalousie se soulevèrent. Une Junte central , sorte de gouvernement provisoire, fut créée à Séville afin de soutenir Ferdinand VII, prisonnier des Français.
La France était déjà engagée en Italie.
Des bruits de réarmement de l’Autriche circulaient dont même Joséphine fut informée.
À Paris, Junot avait failli étrangler sa femme Laure, toute duchesse qu’elle fût, ayant appris qu’elle avait reçu chez elle l’ambassadeur Metternich pendant sa campagne au Portugal.
Une panique prit Joséphine. Napoléon avait rendu tout le monde fou.
Elle ne savait plus où était son foyer. À Mayence ?
À Bayonne ?
Un messager arriva de Saint-Cloud : le 20 avril, Hortense avait mis au monde un troisième enfant, un garçon. Elle l’avait nommé Louis Napoléon,
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