Joséphine, l'obsession de Napoléon
1796, Bonaparte – car il avait ainsi francisé son nom, depuis peu – se lança dans la plus formidable aventure militaire de la France ; il devait faire pièce aux ennemis qui n’aspiraient qu’à effacer de la mémoire du monde le souvenir affreux de la Révolution ; l’Autriche, l’Angleterre et la Russie, soutenues par des alliés secondaires, des États allemands, le royaume de Savoie, maître du Piémont, les États du Vatican, les duchés de Parme et de Modène, le royaume de Naples…
Et cela avec quarante et un mille soldats loqueteux contre les trente-huit mille hommes bien nourris de l’empereur d’Autriche et les vingt-cinq mille non moins frais du roi de Piémont. Avec une artillerie insuffisante et inadaptée et des lignes de ravitaillement inexistantes. Mais du génie.
Les débuts furent difficiles : le lendemain de son arrivée à Nice, après une halte à Antibes pour y rencontrer son chef d’état-major, Berthier, il fut reçu avec condescendance par des généraux de division qui avaient fait leurs preuves, Masséna, Sérurier, Laharpe et Augereau. Ils ne connaissaient pas ce Corse de vingt-six ans, dont la rumeur assurait qu’il avait reçu l’armée d’Italie en dot pour avoir délivré Barras d’une maîtresse vieillissante, une Américaine de trente ans sonnés à la cuisse légère. Les exploits de Bonaparte à Toulon ne pesaient pas lourd à leurs yeux et le 13 vendémiaire leur apparaissait comme un pitoyable massacre de civils. Ils mesuraient tous plus de six pieds et leurs chapeaux à plumes, qu’ils n’enlevèrent d’ailleurs pas devant lui, les faisaient paraître encore plus grands. Et lui, poitrine creuse et teint blafard, en semblait encore plus petit. Comble de maladresse, il leur offrit à chacun un portrait en médaillon de son épouse. Ils se retinrent d’en rire.
Leur morgue, cependant, fut de brève durée.
Aux premiers entretiens, ils s’avisèrent que ce geai presque déplumé en savait plus long sur l’art militaire qu’ils l’avaient présumé et que, de surcroît, il possédait l’autorité et l’entregent qu’ils s’attribuaient un peu trop facilement. Apprenant que l’armée des Alpes était au bord de la mutinerie, parce qu’elle n’avait pas reçu sa solde de trois semaines, il trouva en quarante-huit heures du pain, de la viande, du vin et douze mille paires de chaussures de marche. Ils en restèrent ébaubis. Quant au bataillon qui refusait obstinément d’obéir aux ordres jusqu’à ce qu’il eût été payé, il le débanda aussi sec. À l’indignité de la mise à pied s’ajouta pour eux la frustration d’apprendre, quelques jours plus tard, les promesses de Bonaparte aux troupes demeurées fidèles : dans une harangue promise à la célébrité, à Albenga, il leur avait déclaré :
Soldats ! Vous êtes nus, mal nourris. On vous doit beaucoup, on ne peut rien vous donner. Votre patience, le courage que vous montrez au milieu de ces rochers sont admirables, mais ils ne vous procurent aucune gloire. Je viens vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en notre pouvoir, et là, vous aurez richesses, honneurs et gloire…
Sachant l’état déplorable des finances du pays, Bonaparte avait, en effet, demandé au Directoire l’autorisation de faire payer les frais de la campagne par les territoires conquis, autant dire de se payer sur la bête et d’autoriser le pillage. Ainsi contournait-il la carence de lignes de ravitaillement. L’effet en fut immédiat et des soldats à peine nourris se changèrent en dragons d’apocalypse.
Ce ne fut pas la seule surprise des généraux magnifiques : ce diablotin appliquait une tactique qui ne ressemblait aucunement à ce qu’on enseignait dans les académies militaires. Il avait tout réinventé. Foin des grands plans de bataille dressés par les maîtres stratèges et tacticiens : Bonaparte s’acharna à désorganiser les armées ennemies et, pour commencer, par séparer les armées du roi de Savoie de celles de l’empereur d’Autriche. Se déplaçant à une vitesse d’enfer, les soldats de la République frappèrent les ennemis d’hallucinations : ils étaient partout !
Galopant à bride abattue, réduisant les étapes à presque rien, les courriers rapides portaient à Paris les nouvelles des victoires de Bonaparte : le 12 avril, Montenotte, le 14, Millesimo, le 16, Dego, le 23, Mondovi et, pour couronner le
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