Joséphine, l'obsession de Napoléon
qu’elle se trouvât toujours à proximité de son quartier général, prête à recevoir à toute heure ses baisers fougueux et ses assauts de hussard. Les devoirs de l’amour conjugal étaient censés justifier toutes les exigences d’un jeune homme de province, fou d’ambition militaire, et instruit des seules bonnes manières que lui avait enseignées sa mère, matrone d’un clan farouche. Il avait, à force d’audace et de naïveté, conquis une femme née sous les tropiques, une créature dispensatrice de tendresse, à l’occasion génitrice, amoureuse de la beauté et nourrie de plaisirs. Or, de plaisirs, il ne connaissait que ceux du lit, et la constante inconstance de Joséphine donne à penser qu’il n’y brillait pas.
Elle ignorait naturellement tout de l’art de la guerre et la politique lui était indifférente, sinon étrangère : quel est l’intérêt des alliances et des antagonismes des nations quand, au soir d’une bataille perdue par les siens, on voit le grand-duc de Toscane, propre frère de l’empereur d’Autriche, ennemi juré des Français, donner pour elle un bal ? C’étaient là des histoires d’hommes, et les femmes n’avaient aucun pouvoir sur eux.
Bonaparte l’avait emmenée trois ou quatre fois sur le champ de bataille, aux premières batteries ; elle avait entendu de près le grondement des canons et des boulets avaient même roulé à ses pieds. Une fois, un obus était tombé à proximité et avait, en éclatant, blessé plusieurs personnes. Elle avait poussé un cri et tenté de s’enfuir, mais il l’avait retenue par le bras. À la vue du sang des blessés, elle s’était trouvée mal ; il l’avait alors confiée aux soins de ses aides et juré qu’aucune femme ne mettrait plus jamais les pieds sur un champ de bataille.
Parfois, il grimpait sur des hauteurs, où Joséphine avait peine à le suivre et chutait ; il se moquait alors d’elle :
— C’est le métier de la guerre. Courage, madame, on n’acquiert pas de lauriers à sommeiller sur le duvet !
Et il ne lui donnait jamais, dans ses lettres, de détails sur ses combats. Elle n’était pas si mal informée de sa bravoure, mais n’en parle quasiment jamais dans ses lettres. Écartée du pouvoir de par sa condition de femme, elle s’en désintéressa donc.
Sa frivolité apparente ressemble à distance à une très vieille sagesse, passablement désabusée. Peut-être fut-ce de cette hauteur aristocratique, qui le faisait pourtant souffrir, que Bonaparte fut si furieusement épris.
L’épreuve italienne n’était pourtant pas proche de sa fin : plus nombreux, mieux équipés, proches de leurs bases et forts de leurs stratèges et tacticiens, les Autrichiens n’étaient pas prêts à concéder la victoire à des hordes de gueux régicides menés par un exalté. Les combats se poursuivirent tout l’hiver 1796 et s’étendirent, en 1797, sur des terrains détrempés. Chaque fois que les Autrichiens tentaient de consolider ou de reprendre des positions, ils se retrouvaient dans les griffes des bataillons français de Masséna, de Rey, de Joubert, de Murat. Leur moral en était aussi gravement atteint que leurs forces ; à Rivoli, par exemple, ils avaient perdu deux mille hommes et douze mille prisonniers. Et les Français reprenaient lentement l’Italie du Nord, qu’ils avaient un moment failli perdre. Ils ne démordirent pas du siège de Mantoue, la grande place forte qui commandait l’issue des combats.
Mais, prodige de l’obsession, au plus noir ou au plus rouge de ces combats, Bonaparte trouvait le temps d’écrire à Joséphine :
Je vais au lit avec le coeur plein de ton adorable image. […] Comme je serais heureux si je pouvais assister à son déshabillage, la ferme petite poitrine blanche. […] Tu sais que je n’oublierai jamais les petites visites, tu sais, la petite forêt noire. […] Je l’embrasse mille fois et j’attends impatiemment le moment où j’y serai…
Ses aigreurs s’étaient dissipées dans les encens de la gloire. Il avait passé presque tout le mois de décembre à Milan avec Joséphine.
Enfin, Mantoue tomba en février 1797. La seconde manche de l’offensive contre les ennemis de la République pouvait commencer : l’attaque de l’Autriche, oui, l’humiliation de la grande puissance impériale qui ne pardonnerait jamais aux gueux d’avoir décapité Marie-Antoinette.
Pour cette offensive, Bonaparte devait, sur les conseils du
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