Joséphine, l'obsession de Napoléon
l’ordre.
Le palais Serbelloni devint le siège du pouvoir français en Italie. Les officiers français y coudoyaient les représentants du duc de Toscane, des États pontificaux, de la République de Venise et bien entendu du royaume de Piémont. Les trente domestiques et les cinq cuisiniers à la disposition de Joséphine devaient servir à quelque chose : elle donna des fêtes. Désireux de s’attirer les bonnes grâces du nouveau maître de l’Italie, les anciens seigneurs y venaient rarement les mains vides : tableaux, bijoux, mosaïques, antiques s’amoncelèrent sur les tables du palais, et Joséphine y trouva bientôt motif à un nouveau commerce, comme en témoigne une lettre à Thérésa Tallien. Même le pape Pie VI fit offrir à la « Fille de Dieu » une collection de camées antiques. L’armée de la République n’avait pas jugé impie d’attaquer les États pontificaux, et Bologne et Ferrare ayant donc été occupés en juin, le pontife s’était trouvé contraint de demander un armistice ; l’heure ne se prêtait guère à observer que Joséphine vivait en état de péché, puisqu’elle n’avait pas été mariée à l’église.
Si Joséphine s’ennuyait d’Hippolyte, Bonaparte s’ennuya rapidement de Joséphine : il recommença à écrire des lettres passionnées et, le 22 juillet, 4 thermidor, la pria de le rejoindre à Brescia, « où le plus tendre des amants » l’attendait ; avait-il pris garde que c’était justement là que résidait Hippolyte Charles ? Toujours est-il que, cette fois-là, elle ne différa pas son départ.
Trois jours plus tard, Bonaparte repartit en campagne. Des mouvements de troupes autrichiennes lui avaient été signalés à Mantoue. Pendant quelques jours, la chance sembla tourner à la faveur des Autrichiens : Bonaparte dut renoncer au siège de Mantoue qu’il avait commencé et y perdit sa grosse artillerie. Joséphine avait quitté Brescia, menacée par les canonnades ennemies. Le 5 août, Bonaparte résista à l’offensive des Autrichiens, les mit en déroute, refit le siège de Mantoue et récupéra son artillerie.
Les lettres brûlantes ne s’interrompirent pas. Joséphine, qui ne savait rien de la guerre, ne pouvait mesurer l’intensité du sentiment qui dictait ces missives haletantes, quasiment rédigées sous la mitraille et les canonnades. Certes, une fois, sa voiture avait essuyé les boulets ennemis lors de sa fuite de Brescia, une autre, elle avait quitté Vérone en hâte, accompagnée par Junot, afin de rejoindre Milan pendant qu’elle le pouvait, et sur les bords du lac de Garde ; ç’avait été sa pire expérience : les balles autrichiennes avaient abattu un cavalier d’escorte et un cheval ; Junot avait alors ouvert une portière de la chaise de poste et poussé Joséphine dans le fossé avant de l’y rejoindre ; ils avaient rampé sur le talus avant de reprendre la voiture plus loin, car elle avait poursuivi son chemin. Et que dire de la soirée où, à Florence, des Italiens avaient fait irruption dans ses appartements, car ils croyaient que Bonaparte était mort et que son épouse voyageait avec son cercueil pour le ramener à Paris !
Souvenirs d’angoisse, oui, mais Joséphine ne pouvait deviner que Bonaparte jouait contre des troupes doubles des siennes et contre les généraux autrichiens Quasdanovich, Wurmser et Davi dovich, puis le feld-maréchal Alvinzi, la plus dure partie qu’il eût jamais imaginée. Vingt fois il faillit perdre l’avantage, vingt et une fois il évita le désastre grâce à la rapidité infernale de ses troupes et à la promptitude de ses réactions, sans parler de ses ruses : ainsi, à Arcole, il avait détourné l’armée autrichienne en envoyant quelques trompettes sonner la charge sur leurs arrières ! Les Autrichiens affolés s’étaient déroutés vers une autre direction.
Aucune des lettres de Joséphine durant son long séjour en Italie ne reflète la moindre conscience politique, la moindre notion de la formidable partie que joue l’homme qui est son époux ; on en reste confondu : ce ne sont que remerciements, recommandations, mondanités et mentions d’emplettes, vins, objets d’art…
Pendant ce temps, l’obstination surhumaine de Bonaparte le propulsait déjà dans la légende : officiers et soldats gardaient dans leur mémoire l’image de ce général dépenaillé franchissant l’Adige au pont d’Arcole sous la mitraille, tout en brandissant
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