Joséphine, l'obsession de Napoléon
le Directoire, de peur que la présence de son épouse sur le front ne détournât le général de ses efforts au service de sa patrie ; elle ne recevrait l’autorisation de partir que lorsque Milan serait prise ; cela fait, elle ne tarderait plus.
Le stratagème était fort de café, mais cela devrait atténuer la jalousie démente de Bonaparte. En réalité, Milan était prise depuis six semaines et Joséphine eût dû être partie depuis belle lurette ; aussi le Directoire vivait-il dans l’angoisse de voir Bonaparte débouler d’une heure à l’autre rue Chantereine et, qui sait, peut-être assassiner Joséphine dans un accès de démence.
Ensuite Barras convoqua Joséphine dans son palais du Luxembourg et lui intima l’ordre de partir sans tarder.
Le 24 juin au matin, souffrante, fiévreuse, en larmes, comme si elle allait à la torture, selon un témoin, et non comme si elle allait régner sur l’Italie, elle monta dans la première des six berlines à six chevaux d’un convoi en route pour l’Italie. Digne d’une reine, il était escorté par un détachement de cavalerie. Mais cela n’atténua pas les appréhensions de Joséphine, que les véhicules attelés terrifiaient, tant elle avait entendu d’histoires de voitures qui avaient versé dans des ravins. Trois hommes prirent place avec elle, sans compter le chien de celle-ci, le bien nommé Fortuné, un carlin offert par Hoche : Joseph Bonaparte, Andoche Junot et, ce qui était pour le moins maladroit, Hippolyte Charles.
Dans la deuxième voiture se trouvaient le duc Gian-Galeazzo Serbelloni, propriétaire du palais où devait loger Joséphine et tout frais ambassadeur d’Italie à Paris, et Nicolas Clary, le frère du premier amour de Bonaparte, Désirée. Les autres voitures transportaient la camériste de Joséphine, Mlle Louise Compoint, qui allait jouer un rôle fâcheux dans une des grandes crises du ménage Bonaparte, et des chambrières, plus une quantité considérable de bagages.
Seule la courtoisie amortit les désagréments d’une cohabitation de Joseph Bonaparte et de Joséphine. L’aîné des Bonaparte, en effet, partageait les sentiments du clan à l’égard d’une veuve déjà mûre, en puissance de deux grands enfants et d’une vertu conjugale douteuse. La présence d’Hippolyte Charles n’atténua pas sa réserve. Mais Joséphine, qui était assez fine pour avoir deviné l’hostilité des Bonaparte, feignit toujours la plus grande mansuétude à leur égard. De toute façon, les cahots du véhicule, la poussière des grands chemins et l’inconfort des auberges aux étapes se prêtaient mal à des impertinences.
L’indifférence de Joséphine au qu’en-dira-t-on frisait toutefois l’imprudence, sinon la provocation : aux étapes, sa chambre et celle d’Hippolyte Charles furent toujours voisines, ainsi que le nota le citoyen financier Antoine Hamelin, qui avait joint sa chaise de poste au convoi lors d’une halte à Fontainebleau ; Joséphine avait, en effet, voulu s’arrêter pour embrasser sa tante, l’ancienne Mme Renaudin, devenue enfin marquise de Beauharnais, ayant épousé l’octogénaire père d’Alexandre.
Le citoyen Hamelin avait l’oeil décidément pointu, car il nota aussi que Louise Compoint occupait toujours la chambre voisine du général Junot.
L’été avançant, la chaleur sur le trajet accentua les malaises de Joséphine, que ne quittaient pas son « point de côté » et sa migraine.
Treize jours après son départ de Paris, tout cet équipage entra à Turin, où le roi de Piémont, Charles-Emmanuel IV de Savoie, qui avait laissé les Français occuper la ville sans résistance, fit réserver à Joséphine un accueil de reine.
Cinq jours plus tard, le 25 messidor de l’an IV, 9 juillet, donc, sur la route de Milan, Marmont arriva en éclaireur au-devant du convoi, et le précéda jusqu’aux portes de la ville. Là, Napoléon Bonaparte, commandant en chef de l’armée d’Italie, vint accueillir Joséphine et l’accompagna au palais Serbelloni, suivi par une foule immense et joyeuse.
Le lieutenant Charles partit immédiatement pour le quartier général à Brescia.
12
L’aigle naissant et l’oiseau des îles
Bonaparte ne demeura à Milan que deux jours, ou faudrait-il dire deux nuits ? Des troubles causés à Castiglione par les réquisitions et sans doute les pillages de l’armée le contraignaient à reprendre la route pour aller rétablir
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