Joséphine, l'obsession de Napoléon
Fouché s’était bien gardé de les avertir. À midi, Talleyrand et l’amiral Bruix obtinrent la lettre de démission de Barras et la firent remettre au Conseil des Anciens. Gohier et Moulin ne voulurent rien entendre, en dépit des exhortations de Sieyès. Bonaparte les fit consigner dans leurs appartements officiels.
De l’autre côté de la Seine, au Palais-Bourbon, les Cinq-Cents aussi comprirent et explosèrent de fureur. Les jacobins, dernier rempart de l’esprit de 1789, qui s’étaient laissé prendre aux promesses de Bonaparte, s’étaient vu arracher le pouvoir des mains. Comme ils s’apprêtaient à débattre des mesures à prendre, Lucien Bonaparte leur coupa l’herbe sous le pied : il ajourna la séance jusqu’au lendemain, jour de leur transfert à Saint-Cloud.
Joséphine dîna seule et de peu. Bonaparte rentra après minuit, fourbu, et ne fut guère loquace : le Directoire n’existait plus, mais le pouvoir n’appartenait encore à personne. La partie n’était qu’à moitié jouée, le théâtre des opérations serait déplacé le lendemain à Saint-Cloud, où siégeraient les deux assemblées. Il grignota, posa ses deux pistolets sur sa table de chevet et se mit au lit.
Joséphine regarda les armes avec effroi. Son époux s’attendait-il à être attaqué dans son sommeil ? Elle souffla la bougie.
Elle apprendrait plus tard de Bourrienne que, ce soir-là, les conjurés, Sieyès, Ducos, Lucien, le président Lemercier, Régis Cambacérès, un ancien membre du Comité de salut public, et quelques autres avaient débattu des mesures suivantes à adopter pour créer un nouvel État républicain, mais qu’ils n’avaient pris aucune résolution.
Force, conflits, violence ! Comme tout cela ressemblait peu à son monde. Elle rêva de la Martinique et se revit avec ses soeurs dans le jardin fleuri des Trois-Ilets…
Bonaparte se leva avant le jour. Moins d’une heure plus tard, il était parti avec un détachement pour l’ancien palais royal de Saint-Cloud.
« Envoie-moi un message », avait imploré Joséphine alors qu’il montait sur son cheval.
Il avait hoché la tête. Elle dépêcha un messager à Thérésa pour la prier de venir lui tenir compagnie pendant ces heures d’anxiété.
À son arrivée à Saint-Cloud, Bonaparte trouva l’atmosphère houleuse. Les députés jacobins, réunis dans l’Orangerie, demandaient avec force pourquoi l’on avait nommé Bonaparte commandant de la place de Paris et pourquoi on les avait déplacés de la capitale. La présence des grenadiers près du château ne les rassurait guère : ils devinaient bien qu’ils étaient cernés après avoir été bernés. Ils exigèrent que l’on convoquât les Anciens, qui siégeaient à l’étage au-dessus, afin de connaître les preuves du prétendu complot qui avait motivé ces décisions. Certains vociféraient : « À bas la dictature ! », d’autres : « La Constitution ou la mort ! » Aucune motion ne fut votée, le tumulte devenait incontrôlable, contrairement à ce qu’avait prévu Lucien Bonaparte. Le député Delbrel proposa de renouveler le serment à la Constitution. Cela fit gagner ou perdre du temps, selon le point de vue, mais, pour Lucien, cela réduisait la rébellion des jacobins à quelques gesticulations de plus et sans plus.
Quand le dernier député eut prêté serment, il était 16 heures. L’un d’eux donna lecture de la démission de Barras. Puis l’on débattit de son remplacement. Personne n’était plus avancé que la veille, sinon que les démissions des directeurs furent annoncées, une heure, il est vrai, avant qu’ils les eussent signées.
Bonaparte, son frère Joseph, Sieyès et Ducos attendaient à l’étage supérieur, dans une pièce glacée. Comment diantre obtenir l’approbation des deux chambres ? À la fin, Bonaparte décida d’aller affronter le Conseil des Anciens, qui siégeait au même étage, dans la salle Apollon.
Il y fut accueilli froidement. Il entama un discours rhétorique et filandreux, alléguant que la Constitution avait été piétinée en fructidor, floréal et prairial, ce qui était malvenu car ces trois événements marquaient justement des réactions pour la protection de la République. Qu’avait-il voulu dire ?
— Des noms ! Des noms ! crièrent des Anciens quand il évoqua les dangers qui pesaient sur la République.
Il fut troublé par les mines sévères, les interruptions et la désapprobation
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