Joséphine, l'obsession de Napoléon
déboulèrent.
— Foutez-moi tout ce monde dehors ! tonna Murat.
Le tumulte vira à l’empoignade, des députés boxèrent les soldats. D’autres coururent à travers les bancs renversés et sautèrent par les fenêtres, ce qui n’était pas dangereux, puisqu’ils étaient au rez-de-chaussée. Ils s’égaillèrent dans la nuit, le brouillard et les bosquets, semant leurs toges sur les branches dénudées du parc.
Les plus modérés, les partisans de Sieyès et désormais de Bonaparte, finirent cependant par revenir. Sur l’ordre de Lucien, qui entendait les faire voter, afin de préserver une apparence de légalité au décret qu’il avait préparé, les fuyards, près d’une cinquantaine, furent récupérés, tremblants et transis, dans le parc ou les estaminets voisins et reconduits au château.
Les Anciens, là-haut, avaient assisté stupéfaits à la déroute des Cinq-Cents. La République venait d’être arrachée des mains de ses représentants, désormais prisonniers de Bonaparte et de l’armée.
Dans la soirée, les deux conseils tinrent une séance extraordinaire à la lumière rougeâtre des chandelles dont la flamme atteignait les bobèches. Ils étaient faits comme des rats. Détail singulier, de nombreuses dames élégantes étaient présentes dans les tribunes. On y reconnut Pauline Bonaparte, accourue de Paris. À 2 heures du matin, les députés des deux chambres prononcèrent le serment de fidélité à un triumvirat de consuls provisoires, Sieyès, Ducos et Bonaparte. Et les trois consuls jurèrent à leur tour « fidélité inviolable à la souveraineté du peuple, à la République française une et indivisible, à la légalité, à la liberté et au système représentatif ».
Talleyrand, Ducos, Fouché regagnèrent Paris pour un médianoche.
À 2 h 30 ou 2 h 45, cette nuit du 19 au 20 brumaire, quatre grenadiers allèrent frapper à la porte de l’établissement de
Mme Campan, à Saint-Germain, et y semèrent l’épouvante. Ils venaient annoncer aux citoyennes Caroline Bonaparte et Hortense de Beauharnais, de la part du général Murat, la nomination du général Bonaparte aux fonctions de consul de la République.
Mme Campan trouva que c’étaient là de mauvaises manières de réveiller des jeunes filles en pleine nuit. Cela aurait pu attendre le lendemain. Mais c’était la façon de Murat de faire sa cour. Elle fut efficace : Caroline en fut confondue d’émotion.
Joséphine avait frisé la folie. Des messagers des innombrables factions présentes sur la scène du conflit, parents de députés, journalistes, alliés assuraient une liaison constante entre Saint-Cloud et Paris, rapportant ce qu’ils avaient vu ou cru voir, savaient ou supposaient. Ainsi, au fil des heures, se constitua un nuage dense de rumeurs enfiévrées, à peine rapportées sitôt amplifiées. L’hôtel de la rue de la Victoire était évidemment l’un des centres privilégiés où affluaient les nouvelles. L’évidence indiquait qu’elles n’étaient pas favorables à Bonaparte. Vers 22 heures, des rumeurs de son assassinat coururent Paris. Des théâtres interrompirent leurs représentations. Joséphine manqua s’évanouir. Elle aurait couru à Saint-Cloud, mais ne voulait pas risquer, une fois de plus, de paraître abandonner le foyer. Au reste Saint-Cloud étant sans doute devenu un champ de bataille, sa présence y aurait été inutile.
À 3 heures du matin, elle frémit quand des bruits de roues et de sabots animèrent la petite allée qui débouchait sur la rue de la Victoire. Elle courut à la fenêtre : quelques minutes plus tard, elle vit Bourrienne aider son maître à descendre de la voiture. Elle s’élança vers la porte.
Mais que le vainqueur était défait !
Quand elle referma la porte derrière son mari, elle entendit des soldats chanter dans les parages :
— Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !
DEUXIÈME PARTIE
LES TOURBILLONS DES CIMES
21
La course forcée des captifs
Pour Joséphine, la nomination de son époux au titre de consul exaltait en principe son personnage social. En fait, elle réduisait son statut de femme à celui de servante absolue de la gloire de son époux. Elle avait perdu son principal protecteur, Barras, et l’homme qu’elle avait tendrement aimé n’était plus qu’un souvenir que le succès menaçant de Bonaparte tiendrait à distance. Elle allait affronter bien d’autres
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