Joséphine, l'obsession de Napoléon
Séduction, ambassadrice de la Persuasion subtile, au constant service de la gloire de Bonaparte. L’aimable farniente de la Malmaison était loin : le couple consulaire ne quitterait plus Saint-Cloud que pour des visites en province.
— Que tout cela me fatigue et m’ennuie ! confia-t-elle un jour à Hortense. Je n’ai pas un moment à moi. J’étais faite pour être la femme d’un laboureur !
Risible fiction, quand on connaît ses dettes. Et surtout quand on considère, comme elle ne put manquer de le faire elle-même, que ses nouvelles charges exaltaient son statut. Bonaparte en avait fait son ombre officielle.
Cette élévation, qui n’eut apparemment intéressé que le couple, contribua cependant à changer l’histoire.
Toujours à l’affût d’anecdotes croustilleuses et de révélations salaces, la presse anglaise ne tarissait pas d’articulets graveleux et de caricatures douteuses sur le nouveau maître de la France, sa femme, sa famille et son entourage. Elle cédait ainsi à une tendance, commune à l’époque, consistant à représenter les Français comme une variété libidineuse de la race humaine, et leurs femmes, comme des coucheuses éhontées. Ce n’était pas nouveau, ces follicules scandaleux avaient déjà daubé, on l’a vu, sur les lettres d’Eugène et de Bonaparte expédiées d’Égypte, relatives à l’infidélité de Joséphine, et les avaient reproduites. Mais ils s’obstinaient, tels le Morning Post et le Chronicle, dans leurs révélations de caniveau. Cela devenait insupportable, car ce petit bois de la vilenie chauffait les séditieux et les ennemis.
Le Premier consul en prit ombrage. Il pria le chancelier de l’Échiquier de Sa Majesté George III, roi d’Angleterre et d’Irlande, de bien vouloir sévir. Le ministre n’était pas plus enclin que son supérieur William Pitt à prendre des ordres de qui que ce fût ; il conseilla au Premier consul l’indifférence ; ce n’était pas un trait de Bonaparte ; il prit les Anglais en grippe.
Depuis la paix d’Amiens, signée en mars 1802, son prestige en France était au pinacle. Même dans le reste de l’Europe, plus d’un roi le considérait comme un ambassadeur de la paix. Fort de ses victoires, il avait mis fin aux conflits militaires qui avaient ensanglanté le continent pendant des années. Il ne pouvait donc supporter ces offenses répétées à sa dignité et à celle des siens.
Ces Anglais n’étaient pas des gens auxquels on pouvait faire confiance. D’ailleurs, tout le monde le savait, leur roi était un malade mental. Mais, surtout, ils n’avaient pas respecté leurs engagements : à Amiens, ils étaient convenus de rendre tous les territoires conquis, dont la Martinique et Malte, à l’exception de Ceylan et de Trinidad ; la France pour sa part renonçait à l’Égypte. Or, depuis un an, ils n’avaient pas déplacé de Malte un seul soldat, alors que l’île eût dû être restituée aux Chevaliers de Malte. Sa mauvaise humeur fermenta et s’envenima.
Un dimanche, le 13 mars 1803, elle s’enflamma.
Joséphine vit entrer son époux dans le salon où elle recevait après la messe, en compagnie de ses dames d’honneur, Mmes de Luçay, de Lauriston, de Talhouët et de Rémusat. Hortense était présente, ainsi que la nourrice qui portait le jeune Napoléon Charles, âgé de cinq mois. Joséphine s’inquiéta : il paraissait plus que maussade, furieux. Les conversations s’éteignirent. Il promena un regard noir sur les dames. Le garçonnet cria et tendit les bras vers lui ; Bonaparte le prit dans ses bras et fit quelques pas dans le salon, puis rendit l’enfant à la nourrice. La scène recommença deux ou trois fois et Bonaparte ne desserrait toujours pas les dents.
L’huissier annonça que MM. les ambassadeurs étaient réunis. Bonaparte se rendit dans le salon voisin. Après avoir salué les diplomates, il interpella l’ambassadeur d’Angleterre, Lord Whitworth, sur la mauvaise foi de son gouvernement. Sa voix monta. Le ton vif devint virulent, puis grossier, au point que Whitworth se refusa par la suite à rapporter les termes du Premier consul à son gouvernement. Talleyrand, présent, était atterré.
Dans la pièce voisine, Joséphine tenta d’entretenir la conversation, mais ces dames étaient épouvantées. Quand les ambassadeurs furent partis, Bonaparte retourna vers le salon de Joséphine et lança, souriant :
— Eh bien ! Qu’avez-vous ?
— Tu
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