Joséphine, l'obsession de Napoléon
peine. Et ses infidélités rongeaient évidemment Joséphine. Elle savait qu’après avoir congédié Bourrienne, mouillé dans le trafic des fournitures à l’armée, il avait transformé le bureau de ce dernier, contigu au sien, en nid d’amour.
Amour était peut-être un mot excessif pour des activités expéditives, à la hussarde, et soumises à l’humeur ô combien variable du mâle en charge. Ainsi, Constant, le nouveau secrétaire du Premier consul, vint un jour prévenir son maître que Mlle Duchesnois avait été conduite dans le cabinet galant ; Bonaparte lui répondit :
— Dites-lui d’attendre.
Une heure plus tard, Constant vint rappeler à son maître que cette dame attendait, patientait, Bonaparte lui lança :
— Dites-lui de se déshabiller.
L’infortunée Duchesnois s’exécuta donc, puis elle commença à avoir froid. À la troisième visite de Constant, Bonaparte avait crié à la cantonade :
— Dites-lui de rentrer chez elle !
On peut espérer que la comédienne reçut quand même son cachet. Mais les traitements cavaliers infligés à ces dames ne consolaient guère Joséphine pour autant. Une nuit, Bonaparte tarda excessivement à venir se mettre au lit. À 4 heures du matin, elle se saisit d’un bougeoir et décida d’aller y voir. Elle trouva Bonaparte qui revenait, lui-même avec un bougeoir à la main.
— Au moins était-elle jolie ? lui lança-t-elle.
Il feignit de ne pas comprendre. Puis il lui déclara :
— Puisque vous le prenez ainsi, madame, couchez chez vous et moi dans ma chambre.
Dès lors, il ne partagea plus régulièrement son lit avec Joséphine qui, raconterait-il plus tard à Sainte-Hélène, « [le] perdit de vue depuis le soir jusqu’au lendemain déjeuner. [Il] ne la voyai[t] plus que quelquefois et alors [il eut] toute [sa] liberté. »
— Comme créole, expliqua-t-il, elle avait le pied léger et ne se gênait pas pour venir à la porte écouter, sous le prétexte de savoir où j’étais, et avec qui. Au reste, elle a toujours eu le nez assez fin pour deviner tout attachement que je pouvais avoir, et alors elle ne manquait pas d’attirer la conversation sur la personne qu’elle supposait et d’y jeter du ridicule ou d’arriver à citer quelques anecdotes qui pouvaient en dégoûter.
C’est pourtant le même homme qui avait déclaré :
— Une femme qui veut exercer de l’influence sur son mari doit toujours coucher avec lui. En effet, elle ne le perd jamais de vue ; douze heures de nuit sont d’abord la moitié de la vie ; elle voit quand il se lève, quand il se couche ; elle le voit à déjeuner, à dîner, rien ne lui échappe ; c’est aussi une chose de bonnes moeurs.
Discours théorique, car il est douteux que Bonaparte et encore moins Napoléon soit jamais resté douze heures d’affilée dans son lit.
Depuis l’installation à Saint-Cloud, c’est-à-dire 1803, Joséphine passa donc beaucoup de nuits blanches ou grises, partagée entre l’espoir de voir son époux ouvrir la porte de la chambre à coucher et l’amertume de la résignation.
La possessivité, si fréquente même chez les vieux amants, se révolta souvent chez elle. Un soir qu’elle attendait Bonaparte au Salon jaune, en compagnie de Mme de Rémusat, l’épouse bafouée perdit toute prudence.
— Je ne peux plus le supporter, déclara-t-elle à sa dame d’honneur. Mlle George doit être là-haut.
Se munissant d’un bougeoir, elle pria Mme de Rémusat de la suivre jusqu’au cabinet secret. Les deux femmes étaient à mi-chemin de l’escalier menant au premier étage quand elles crurent entendre des bruits au-dessus. Elles supposèrent que c’était le mamelouk Roustam. Joséphine en laissa tomber le bougeoir de terreur et redescendit en hâte, criant que ce garde les taillerait en pièces. Dans sa jalousie, elle avait surtout négligé les ravages qu’une scène de flagrant délit aurait causés.
Personne ne s’y serait attendu : ce fut une défaillance de santé de Bonaparte qui mit fin à la liaison avec Mlle George. Un soir, en effet, les cris perçants de celle-ci justifièrent l’intervention. Joséphine s’élança au premier étage. Le spectacle était consternant : Bonaparte gisait nu sur son lit, secoué de convulsions, cependant que Mlle George épouvantée se rhabillait en hâte. Roustam et des domestiques relevèrent les couvertures sur leur maître. Joséphine, blême, fit appeler le médecin
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