Joséphine, l'obsession de Napoléon
descendance. Mais, pour d’autres, Joséphine était un atout trop précieux et populaire pour que Bonaparte s’en séparât et son clan, d’ailleurs divisé, en serait pour ses frais.
Joséphine en fut, comme d’habitude, avisée par Fouché. Mais elle ne tenait pas les cartes, et le mieux qu’elle pût faire était de garder son mari sous son charme et d’éviter toute occasion de lui déplaire à ce moment critique.
S’ils communiaient tous dans l’aversion de Joséphine, les Bonaparte étaient loin de former une phalange unie au service de Napoléon. Équipées chacune d’une coterie, les quatre femmes s’étaient haussées du col depuis l’accession au pouvoir de leur fils et frère ; elles rivalisaient plus ou moins ouvertement entre elles. Mais le plus important, pour Joséphine, était une rivalité entre l’aîné, Joseph, et Lucien ; l’ambition de celui-ci, parfois frénétique, son amour-propre exacerbé jusqu’à des coups de sang tels que celui où il avait menacé de faire tomber Napoléon, ne changeaient rien au fait que Joseph détenait la priorité sur lui ; si une nouvelle Constitution conférait à Bonaparte le droit de choisir son successeur, Joseph serait le candidat désigné. Car même Bonaparte n’oserait pas contrevenir ouvertement au droit d’aînesse. Mais Lucien savait aussi bien que Bonaparte lui-même que Joseph serait rejeté par la totalité du peuple ; Napoléon avait réussi à se franciser ; ses victoires l’avaient élevé au rang de héros français, alors que Joseph demeurait un Corse, presque un étranger, l’île n’ayant été rachetée à la République de Gênes qu’en 1768. Lucien s’agitait donc plus que jamais, se posant en successeur désigné du Premier consul et ralliant des partisans sur la foi de convictions républicaines qui semblaient plus fermes que celles de ce dernier.
Bonaparte, pour sa part, se méfiait des deux frères ; quand, en mai 1802, il entama auprès des trois Chambres les manoeuvres qui aboutiraient à lui conférer le consulat à vie, il les tint soigneusement à distance. Et il prit soin de faire repousser les clauses que Joseph avait proposées et qui l’eussent mis en tête de la ligne de succession.
Le surcroît de prestige conféré par le traité d’Amiens valut à Bonaparte une popularité à peu près unanime. Les Chambres décidèrent alors de lui accorder le consulat à vie. Joséphine respira plus librement : elle savait que Bonaparte comptait désigner comme héritier l’enfant à venir d’Hortense et de Louis, à la condition que ce fût un garçon.
Elle n’en continua pas moins à préparer, comme chaque année, sa cure à Plombières.
Un gros nuage apparut alors qu’elle faisait ses aspersions au Trou du Capucin.
Elle apprit par ses espions qu’une jeune et jolie actrice, Mlle Rolandeau, avait été reçue à la Malmaison. Et cela alors qu’Hortense s’y trouvait. Elle imagina aussitôt une liaison entre son mari et la jeune actrice, avec la complicité tacite d’Hortense. On devine trop aisément le scénario qu’elle conçut : l’actrice enceinte mettrait au monde un enfant mâle et Bonaparte divorcerait pour épouser cette baladine. Elle adressa des reproches à sa fille, alors enceinte, et, rongée de jalousie, finit par faire ses malles et rentrer à Paris. Là, ce furent les reproches de Bonaparte qu’elle dut subir, pour avoir interrompu sa cure à cause d’une jalousie frivole. Le traitement de sa fertilité était une affaire bien plus importante que ses fantasmes de tromperie. La place de Joséphine dans le coeur et l’esprit de Bonaparte était loin d’être en péril, puisqu’il envisageait déjà de choisir ses dames d’honneur, preuve de ses ambitions monarchiques.
L’épisode est apparemment insignifiant, sinon risible. Il est pourtant révélateur de la fragilité émotionnelle de Joséphine à cette époque. L’infidélité vraie ou supposée de Bonaparte avec Mlle Rolandeau n’aurait certes pas été la première : outre la dame Fourès, qui avait tenu une si grande place dans l’esprit du général pendant la campagne d’Égypte, il y avait eu cette cantatrice milanaise, la Grassini, avec laquelle Berthier avait trouvé Bonaparte au lit, à Milan. Il y en avait sans doute eu d’autres et il y en aurait certainement encore. Les miroirs, dont Joséphine faisait si grand usage, ne l’informaient qu’assez, avant qu’elle s’habillât et se
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