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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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miens. On dit que la sensibilité s'use. La mienne est plus que jamais à vif. Et puis, on ne naît pas avec une sensibilité toute faite. On la fait. On lui donne une perfection extraordinaire.
Si, pourtant, toutes les femmes qui m'admirent, si ces quelques femmes savaient que je suis seul, ne viendraient-elles pas me voir ? J'aurais dû faire une annonce.
Il fait un dimanche ensoleillé qui me rappelle les dimanches de lycée où j'étais privé de sortie. D'ailleurs, sorti, je m'ennuyais davantage.
Et voilà ! Moi qui appelle du fond du coeur les aventures, je me demande où je vais aller dîner.
5 mai.
C'est bien, de mépriser le monde et de s'en servir, mais comme c'est mieux de le mépriser tout simplement !
La Gloriette. 10 mai.
- Je me sens plus fort que l'année dernière, dit papa.
    A chaque pointe de feu il avait un tressaillement.
- Il y en a qui crient, dit-il. Ça doit les soulager. Je devrais peut-être crier.
Il dit de Papon, qui a une maladie de coeur :
- Il paraît que ce gars-là a une peur ridicule de la mort.
Avant d'avaler une potion, il dit :
- Et quelle est, selon vous, la vertu de ce médicament ?
13 mai.
La tristesse de trois coups de cloche qui sonnent en plein jour.
Le rêve, c'est le luxe de la pensée.
Chez Papon. Il n'y a personne, que le malade. Il y a de l'eau par terre, et une marmite sur un feu presque éteint. Papon a sur les épaules un capuchon d'enfant, et, sous les reins, pour le caler, car il est si gros qu'il défonce le matelas, un manteau de la mère Nanette. Il a un bonnet de coton qui ne quittera plus sa tête.
- Ah ! Madame, dit-il à Marinette, j'ai bien vieilli.
Oui, il a bien vieilli. Sa barbe est tout ce qu'on veut, excepté une barbe. Il va mourir dans la misère et la saleté. Il n'en a plus pour longtemps, mais, autour de lui, on dit qu'il s'écoute.
Jusqu'à la nuit dernière, Nanette a couché avec lui. Elle a mal à un genou.
    Pour se tenir chaud, elle a mis trois bas, dont une chaussette. Et elle n'est pas triste de voir Papon malade. Elle ne le soigne pas, découragée depuis longtemps par d'autres maladies, d'autres misères qui l'ont usée, et, pourtant, elle dit :
- Allez ! Marchez ! On va bien le sauver !
Et, ces vieilles femmes, je les ai connues jeunes filles. Suis-je donc si vieux ? Comment ont-elles fait pour vieillir ainsi ?
14 mai.
Le bonheur est dans l'amertume.
Si tu écris à Jules Lemaitre, mets sur l'enveloppe : « de l'Académie française ». Tu feras plaisir à Lemaitre, et à la directrice des Postes de ton village.
Je n'ai plus de joie à écrire. Je me suis fait un style trop difficile.
Marinette dit à papa :
- Etes-vous allé à la selle, aujourd'hui ?
- Oh ! dit-il, ce n'est pas tous les jours fête.
Il regarde ses ongles et dit :
- C'est long, c'est jaune et noir.
- Voulez-vous que je vous les coupe ? dit Marinette.
Et elle les coupe, et les nettoie, en plaisantant :
- Dieu, qu'ils sont durs !
- Il y a aussi les ergots des pattes, dit mon père.
    Et Marinette dit qu'elle les lui coupera demain.
Maman, qui bout dans la cuisine, dit tout haut :
- Il vous en reste encore un à faire. Il faudra aller nettoyer Papon, maintenant.
Elle s'exaspère ; et, comme c'est trop tôt pour s'exaspérer contre Marinette, elle s'emporte contre la bonne : cette fille qui se tord parce qu'on humilie la maîtresse de maison ! Le fait est que le maître de la maison ne rate jamais le coup. A peine maman a-t-elle quitté la chambre qu'elle entend :
- Marie, apporte une tasse de lait !... Marie, un oeuf à la coque !
- Je ne suis bonne qu'à vider les pots qu'on me passe, dit maman.
Marinette veut la ménager, et n'y réussit pas. Elle dit à la bonne :
- Marie, il faudrait laver ce foulard.
Et maman se précipite :
- Je le laverai bien, moi, puisque je ne suis bonne qu'à ça et à vider les pots !
Puis, soudain, elle embrasse Marinette en l'appelant « Ma fille ! Ma chère fille ! » Elle la reconduit jusqu'à la rue. Elle veut être au courant de tout. Elle dit :
- Oui, on a joué une pièce de Jules. Ça s'appelle Le Désir de rompre. Ça a eu beaucoup de succès. Ça a été très applaudi.
    Comme Marinette passe une éponge sur le visage de papa, maman dit, toujours de la cuisine :
- Ah ! si vous profitiez donc de ce qu'il est malade pour le rendre propre ! Il vivait dans une saleté honteuse. Dieu merci, je lui soigne pourtant assez son linge ! Il n'a qu'à ouvrir le placard et à prendre une chemise, un caleçon.
Et papa ne rit même plus dans sa

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