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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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barbe. Qu'y a-t-il donc entre ces deux êtres ? Une foule de petites choses, et rien. Il la déteste et la méprise. Il la méprise surtout, et je crois bien aussi qu'il en a un peu peur.
Elle, elle ne doit pas savoir. Elle lui en veut de toutes ces humiliations, de ses silences obstinés. Mais, s'il lui disait un mot, elle lui sauterait au cou avec une crise de larmes, et, vite, elle irait répéter ce mot par tout le village. Mais, ce mot, il y a trente ans qu'il ne le dit plus.
17 mai.
Devant moi, la campagne est d'un vert que je peux dire multicolore.
Bucoliques. - Vous y allez tout de même, avec votre pioche ?
- Il faut bien, dit Michel.
- Il ne doit plus vous en rester un seul.
- Si, il m'en reste un : une pousse, bien cachée sous une feuille mais il ne m'en reste pas deux. Trois gelées de suite, c'était trop. D'ailleurs, la première nuit avait tout perdu, raisins, fruits, haricots, jusqu'aux petits pois.
    Jamais de ma vie je n'avais vu geler les petits pois.
- Il ne gèlera pas aujourd'hui. Les rayons du soleil brûlent.
- Ce qui est gelé est gelé, et le soleil va cuire le reste. Les prés grilleront. Si la chaleur succède au froid sans pluie, ça sera le coup de grâce : nous n'aurons même pas d'herbe cette année.
- Il faut se résigner, Michel.
- D'autant plus que, si le raisin avait échappé aux gelées, la maladie ne l'aurait pas manqué. Au moins, on est fixé plus tôt, et on se console plus vite.
- Mais, alors, qu'allez-vous faire dans votre vigne, avec cette pioche ?
- Arracher les mauvaises herbes avant qu'elles n'aient des graines. Autrement, ce serait le diable, après, pour nettoyer ma vigne.
- Que de soins ! Si, encore, elle vous rapportait...
- Elle allait me rapporter. Voilà dix ans que je la répare. Je l'avais presque remise à neuf. Je me disais : « Elle va me payer ma peine. »
- Elle ne vous a pas encore donné de vin ?
- Elle m'en a donné soixante-seize litres l'an dernier. Elle ne m'en donnera pas un verre cette année.
- Et pourtant vous y travaillerez aujourd'hui comme hier, du même coeur, d'un bout à l'autre de l'année, et nous ne sommes guère qu'au premier bout ; et, à la fin, vous ne recevrez aucune récompense de votre travail.
    - Je ne travaille pas pour cette année, dit Michel. Je travaille pour l'année prochaine.
Les arbres font le gros dos sous la pluie.
20 mai.
Oui, quand une belle chose est dite en belle prose, il lui manque encore d'être dite en beaux vers.
21 mai.
Maurice avait enlevé le revolver de la table de nuit, sous prétexte de le nettoyer. Papa, qui se trouve bien ce soir, dit :
- Il disait ça, mais il mentait. Il a peur que je me tue. Mais, si je voulais me tuer, je ne me servirais pas d'un outil avec lequel on ne fait que s'estropier.
- Voulez-vous bien ne pas parler de ça ! dit Marinette.
- Je prendrais carrément mon fusil.
- Tu ferais mieux de prendre un lavement, lui dis-je.
Leur tonneau de Diogène est en zinc.
22 mai.
Les arbres sont peut-être seuls à connaître à fond le mystère de l'eau.
Caille. Quel joli nom ! C'est comme une petite explosion, un soupir qui monte des blés.
Papa a toujours une intelligence claire et lente. Près de lui, moi, je ne sens plus la mienne très nette. J'ai toujours peur de dire une chose fausse, et de la mal dire, et il doit penser :
    « Qu'est-ce qu'on a donc à toujours me parler de mon fils ? Je ne vois pas ce qu'il a d'extraordinaire. » Il parle bas, pour ne pas se fatiguer le poumon, et chacune de ses paroles tant ménagées fait un peu mal à celui qui l'écoute. (Reprendre Les Cloportes.) Dès que maman ouvre la porte, il s'arrête. Elle entre parce qu'elle a senti qu'il allait dire quelque chose qu'elle voudrait bien savoir. Traînant sa jambe malade, elle va au placard, l'ouvre, touche la pile de linge, feint de chercher, écoute, et ne prend rien. Elle fait le tour de la table, déplace un journal. Enfin, elle trouve une tasse et l'emporte. Elle n'a rien entendu. Refermée sa porte, papa, qui s'était promené à petits pas, continue et achève sa phrase sur le même ton.
J'ai mis, dans mon jeu, le goût d'une fortune médiocre, le goût de la pauvreté.
23 mai.
Les colonies de l'esprit.
25 mai.
La rivière ne disait rien tout à l'heure, ou, plutôt, je ne l'entendais pas. Maintenant que je l'écoute bien, elle ronronne comme un chat flatté.
C'est une grande preuve de noblesse que l'admiration survive à l'amitié.
28 mai.
Une femme électrique qu'on n'oserait pas toucher du bout du

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