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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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Elle est restée immobile et à genoux cinq minutes, toujours comme une grande artiste.
    J'aimerais mieux être condamné à ne lire que des vers jusqu'à la fin de mes jours que de voir deux ou trois fois ce Guignol de squelettes.
Mais pourquoi aller dans le monde ?
Si c'est pour s'amuser, quel drôle de divertissement ! Si c'est pour prendre des notes, rien à faire. Ces gens-là se sont vidés, les uns, dans les affaires, les autres, sur le papier, les autres, dans leur art. Ils vont dans le monde pour attendre l'heure de se coucher. On n'entend pas un mot drôle. Dehors ils ont laissé leur esprit, leurs passions. Le moindre relief tuerait ce futur candidat à l'Académie ou à la Légion d'honneur. Ils le savent, et s'éteignent. Ils tâchent qu'on prenne leur bâillement pour un sourire.
Pour moi, je m'y sens mauvais. Je dois avoir un visage couleur de sapin. Je ne dirais volontiers que des injures. Je giflerais plus d'une tête, à finir par la mienne.
Barrès me parle de son livre en trois volumes. Comme je m'étonne, il me fait justement observer que ce n'est que depuis peu qu'on écrit des romans en un seul volume, et que Stendhal en faisait au moins deux de Le Rouge et le Noir.
- Et puis, dit-il, on ne s'amuse qu'à faire autre chose. J'ai mis quatre ans à l'écrire, et je n'ai pas souffert de la solitude.
- Oui, dis-je, parce que vous étiez déjà Maurice Barrès.
    Et cette jeune femme, qui est-elle ? La fille, la gouvernante de Mme de Loynes ou des petits chiens ? Jusqu'à quel point faut-il la saluer ?
Ah ! reste donc chez toi !
13 avril.
Écrit une dizaine de remerciements complimenteurs sur une dizaine de livres que je n'ai pas lus. Honte. Fait compliment à Guiches de Snob après en avoir parlé avec dédain à Granier. Pour quoi ? Raconté pour la cinquantième fois le succès du Plaisir de rompre, en exagérant une fois de plus.
17 avril.
Ce matin, reçu une lettre de ma mère, qui me dit que mon père a été pris d'un étouffement, qu'il a demandé lui-même le médecin, et que c'est une congestion pulmonaire, grave.
Ah ! J'ai trente-trois ans passés, et c'est la première fois qu'il me faut regarder fixement la mort d'un être cher. D'abord, ça n'entre pas. J'essaie de sourire. Ce n'est rien, une congestion pulmonaire.
Je ne songe pas à mon père. Je songe aux petits détails de la mort, et, comme je prévois que je serai stupide, je dis à Gloriette :
- Surtout, toi, ne perds pas la tête !
Je me donne déjà le droit de la perdre.
Elle me dit qu'il me faudra gants et boutons noirs, et crêpe à mon chapeau. Je me défends mal contre ces nécessités du deuil que je trouvais ridicules tant qu'il ne s'agissait que des autres.
    Un père qu'on voit rarement, auquel on pense rarement, c'est encore quelque chose au-dessus de soi ; et c'est doux de sentir quelqu'un qui est plus haut, qui peut être un protecteur s'il le faut, qui nous est supérieur par l'âge, la raison, la responsabilité.
Lui mort, il me semble que je serai comme un chef résigné : je pourrai faire ce que je voudrai. Plus personne n'aura le droit de me juger sévèrement. Un tout petit enfant serait triste s'il savait que personne ne le grondera jamais.
Je commençais seulement à l'aimer. J'en parlais l'autre matin à Jules Lemaitre avec une légèreté littéraire coupable. Comme je rêverai à lui !
Petites et fréquentes envies de pleurer. On pleure ainsi parce qu'on a dans la mémoire les larmes universelles que la mort a fait répandre.
19 avril.
Il avait un geste familier. Il s'accoudait du bras droit, posait sa joue sur ses doigts et, de l'ongle du petit doigt libre, se touchait une dent rentrée. Il m'a laissé ce tic. Il m'a laissé la peur des lavements et les réponses évasives. Mon frère et ma soeur ont hérité d'autres tics.
Les mots filial et paternel ne signifiaient rien entre nous. Un mélange d'estime, d'étonnement et de crainte, voilà ce qui nous reliait. J'avais le soin de dire qu'il n'était pas comme les autres, et le souci de montrer qu'il ne me faisait pas peur.
    Moi, je m'arrache les poils du nez comme il faisait, mais, plus sédentaire que lui, j'exagère.
2 mai.
Seul, je pense à Marinette comme à une petite femme toute neuve à qui je ferais la cour. Et je pense aussi à toutes les autres.
Hier, en la quittant, j'ai fait quelques pas à pied avec l'espoir de quelques frôlements. Aucune femme ne m'a raccroché. Quelques-unes m'ont seulement regardé avec des yeux qui faisaient baisser les

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