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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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ne disait pas bonjour. Elle faisait seulement de petits signes de tête et marchait à côté de nous, tout en marmonnant. On ne comprenait pas. Elle nous répugnait un peu. Moi, je me retournais fréquemment pour regarder le coucher du soleil. Sans doute elle disait : « Puisque vous donnez aux autres, pourquoi ne me donnez-vous pas, à moi ? Je suis plus malheureuse que ma voisine, qui a un mari, du linge et des meubles. Moi, je suis seule et je n'ai rien. » Mais on ne lui donnait rien parce que ce n'est pas agréable, de lui donner. Étant folle, elle est incapable même de gratitude ; et, quand, vers l'école, au croisement de sa route et de la nôtre, elle nous disait bonsoir, nous répondions, avec un secret soulagement : « Bonsoir ! » très haut : folle, nous nous imaginions qu'elle devait être sourde.
Elle est morte.
    Nous aurions dû lui donner davantage. Voilà un remords de plus.
26 novembre.
Le Repas du Lion, la pièce de Curel. Répétition générale. Un bon troisième acte, bon comme un bon cours de logique d'un professeur à la mode ; le reste, quelconque. Ça ne m'intéresse pas. La question sociale résolue par une métaphore. Un prêtre dit des choses sensées, mais c'est un prêtre ; où est l'humanité ?
- Ce n'est pas moderne ! dit Bauër qui n'aime que ça. Il lui faut des idées d'hier soir dont l'encre est encore fraîche.
Antoine et Gémier un peu vexés. Lemaitre :
- Ah ! Renard ne doit pas aimer ça ! Il n'aime pas l'éloquence.
Non ! Et je n'aime pas non plus à aller faire une visite dans la loge de Mme de Loynes.
Mirbeau et Sarah jubilent. Dans le plaisir de voir tomber une pièce ils se taillent la part du lion.
- Maintenant, dit Mirbeau, je suis tranquille pour Les Mauvais Bergers.
Oui, vous pouvez l'être. Ce ne peut être pire. Athis, très appliqué, dit qu'il trouve ça très beau. Il est victime de ce vice littéraire qui consiste à se forcer à aimer ce qu'on se croit obligé d'admirer.
A la fin, un coup de fusil qui tue la pièce.
- C'était, dit Bernard, le seul moyen de faire taire cet insupportable de Max.
    Il lui manque cette sérénité de l'artiste, qui n'empêche pas d'avoir toutes les inquiétudes de l'homme.
Déjeuné chez Bernard. Edmond Sée, Louis de Robert, Yvette Guilbert et son Américain. Yvette, cheveux d'un roux qui, dit-elle, lui coûte 25 francs par mois. Bernard me présente comme Poil de Carotte. Elle croit que c'est un surnom et le trouve drôle et mérité.
- On ne peut pas être plus rousseau, dit-elle. Ça me vexe.
L'inévitable passage du doigt sur les lèvres, dans la glace. Un nez qui serait commode si on avait envie de l'embrasser sur la bouche.
Elle se croit chez des gens du monde, admire les enfants de Bernard et trouve qu'il n'y a pas d'autre but dans la vie.
- Il suffit, dit-elle, de réfléchir cinq minutes et demie.
On parle Dreyfus.
- Ne trouvez-vous pas, dit Yvette, qu'on pourra permettre à cet homme de porter une cravache pendant huit jours ?
- Pour avoir ce droit, dit Bernard, il n'aura qu'à s'engager dans la cavalerie.
Vient Mme Allais. Elle dit qu'Allais est plutôt bon camarade que bon mari.
- Gardez-le comme camarade, madame, et prenez un... mari.
Yvette Guilbert va en Allemagne. On lui paie près de 40.000 francs dix représentations : il y a de quoi faire rêver le poëte Gilbert.
    27 novembre.
Allais en habit a l'air d'être son propre patron.
29 novembre.
Le bonheur, la plus rapide des impressions.
Ah ! Ah ! Qui est-ce qui, grâce à moi, va aller tout de suite à la postérité ? C'est ma petite femme.
Le cheval au sabot prétentieux buvait dans le ruisseau, comme une jolie femme qui lève le petit doigt.
Je n'oublie rien, et mes impressions me reviennent toujours. Je suis un sentimental qui rumine.
C'est une pièce qu'on peut éreinter à son aise. Il suffit d'ajouter que le talent de l'auteur n'est pas en cause.
Le Dimanche, rêve de ton village.
Les loups du vent hurlent à ma porte.
Notre esprit, une pauvre petite flamme retenue par un corps de suif.
30 novembre.
Chez le dentiste. Puis, on sent que la dent essaie de faire mal, et qu'elle ne peut pas. Le « Vous avez peur, hein ? » Le petit fauteuil où il est bien difficile de s'asseoir. Est-ce qu'il ne va pas basculer, me ligoter et me livrer au bourreau ?
On leur a une reconnaissance éternelle de ne vous avoir pas fait mal.
    On oublie que, peut-être, rien ne leur était plus facile.
Et je dis que mon père, qui s'est tué comme un héros, n'a jamais voulu aller

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