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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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servi. »
9 décembre.
Nos morts reviennent au foyer et revivent dans les flammes que nous regardons avec tant de mélancolie.
    - Non, non ! Merci ! Pas ce soir. Je ne fume que quand j'ai bien dîné.
Mes enfants, pour tout héritage je vous laisserai mon âme, par écrit.
14 décembre.
On peut voir votre âge à vos dents, et vos dents ont l'âge d'or.
Une couverture d'orange, dit Baïe.
Comment voulez-vous qu'un homme qui n'élève jamais la voix puisse passer pour un homme de génie ?
Il arrive que je me sens Démosthène, - avec ses cailloux dans la bouche.
Je ne veux rien écrire sans émotion, et j'ai l'émotion paresseuse : j'écris donc très peu.
15 décembre.
Répétition générale des Mauvais Bergers. Dans la loge de Guitry, ils étaient tous : Mirbeau, Hervieu, Rodenbach, La Jeunesse, les enthousiastes, les « vies frénétiques ». Si, pris d'une pitié profonde pour les humbles et les pauvres, j'avais serré la main de Firmin, qui est le domestique de Guitry, tout ce monde-là aurait pouffé de rire.
Les pièces socialistes me rendront fou. Le gros Bauër n'en a jamais vu d'aussi belle depuis un siècle. Mendès fait chorus. Tous sont de l'avis de La Jeunesse : « L'esprit de vérité, l'esprit de Dieu a passé par là. »
    Moi, j'ai envie de faire des excuses à Curel, dont je n'aimais pas Le Repas du Lion.
Et nous sommes tous des lâches, moi le premier, qui ne crie pas à Bauër, Mendès et La Jeunesse : « Vous êtes tous des fantoches ridicules, et, ce que Jean Roule crie aux politiciens dans la pièce de Mirbeau, il vous le criera quelque jour. Il vous criera : « Vous vous foutez bien des ouvriers ! Les députés ne nous donnent que des paroles, et, vous si nous demandons du pain et de l'argent, vous nous donnez des articles, mais c'est vous qui en touchez le prix. Et je n'ai pas tout dit encore ! A bas les Sarah Bernhardt, la grande passionnée, qui, aussitôt après être morte au cinquième acte, se relève et court à la caisse pour savoir combien ça lui a rapporté de mourir pour nous ! A bas Mendès, qui, après s'être fondu en eau à m'entendre gueuler, va réparer ses forces dans une brasserie et les reperdre ensuite avec des grues ! A bas Bauër, à qui sa pitié pour les pauvres rapporte 50.000 francs par an et le titre d'écrivain d'avant-garde ! A bas tous, tous ! Rendez l'argent, les honneurs, la gloire même ! Ce n'est pas seulement du pain que nous voulons, mais de votre pain. C'est la moitié que je veux. Je ne me contenterai que d'une moitié. Oui ! Je te laisse l'autre. Si vous n'êtes que des artistes, je n'ai rien à dire, moi. Je ne suis pas un artiste. Je ne vous comprends pas, mais je vous respecte, je vous salue poliment, et je passe. Mais, si vous prenez en mains ma cause, j'ai le droit de vous taper sur le ventre et de vous dire :
    « A nous deux ! Causons un peu ! » Si vous dites : « Nous ne sommes pas des esprits étroits : nous sommes des hommes d'idées », nous vous crierons que nous ne comprenons pas ces nuances, et, pour toute raison, nous allons vous casser la gueule et vous trouer la peau. Vous êtes bien fiers, parce qu'au lieu de dire vos bêtises à une tribune vous les dites dans des journaux, ce qui ne vous empêche d'ailleurs pas de proclamer avec pompe, à l'occasion, que le journal est et doit être une tribune. Et à bas Jules Renard, l'homme heureux, le propriétaire qui se plaint toujours et qui n'est qu'un égoïste et un hypocrite, car, s'il dit à sa femme et à ses enfants : « Soyez heureux ! » il leur dit aussi : Soyez heureux comme je l'entends, du bonheur qui me plaît à moi ; sinon, gare à vous ! »
- Tout cela est gros, gros, dit Mallarmé, et ces acteurs, qui veulent jouer la vie, ne donnent rien de la vie. Ils ne peuvent même pas donner la vie d'une causerie de salon, même pas d'un pli d'étoffe. Et puis, au théâtre, la vie me choque. Ma vie à moi me fait mal ; ses petits drames usent trop ma sensibilité pour que je trouve une saveur à leurs fausses imitations. Elles offensent ce que j'ai de pudeur. Oui, tous ces gens-là me semblent se mêler de ce qui ne les regarde pas. Je n'aime que les drames de Wagner et les ballets ; et je préfère ceux-ci, parce qu'ils sont l'expression de la vie d'un autre monde.
- Si j'avais vingt ans, dit Clemenceau, je poserais une bombe sous tous les monuments publics.
    On dit ça, monsieur Clemenceau, quand on a soixante ans.
Sarah Bernhardt a inventé le rideau qui peut se relever le plus

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