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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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n'y peut que s'embrasser ou se battre.
10 novembre.
Guitry sait raconter. Il ne raconte que ce qu'il faut, et il sait s'arrêter. Il a du succès, il n'ajoute rien, et ne revient pas sur son histoire.
- Avec lui, dit Bernard, on n'est jamais gêné. On cause d'égal à égal. On n'a pas peur de dire tout à coup une chose qui froisse un cabot.
Jamais je n'oserai lire à cet homme-là ma petite pièce naïve et bébête.
    Nous avons aussi beaucoup parlé cravates, et j'ai tout de même rougi de plaisir parce que Guitry m'a dit que la mienne n'avait pas l'air d'une cravate toute faite.
14 novembre.
Lu hier soir à Guitry, dans sa loge, en deux entr'actes. Porte interdite. N'ouvrir sous aucun prétexte. Indispensable petite préface sur la façon inintelligible et monotone dont je vais lire. Je commence, dans l'odeur de sa cigarette.
Je bredouille un peu. Guitry, rien. Silence qui déconcerte, sauf un « Oh ! que c'est bien, ça ! » Puis : « Arrêtons-nous ici. C'est exquis, délicieux. On est comme en présence d'une belle chose. »
- N'est-ce pas ? lui dis-je. Je crois que ça y est. Moi, j'aime mieux ça que Le Plaisir de rompre. Il me semble que j'ai fait là preuve de plus de maîtrise.
Je développe peut-être trop. Je vais au-delà des compliments de Guitry. Il disparaît. Quand il revient, j'achève avec assurance. Il rit fort du mot sur Pascal. C'est fini. Vraiment, il a l'air pincé. Je suis enchanté. D'ailleurs, au fond, j'étais tranquille. Je ne reste pas plus longtemps avec lui, de peur de tout gâter.
Je lis ce que je fais, comme mon plus mortel ennemi.
16 novembre.
C'est là un livre dont on dit : « Lisons-le tout de suite pour n'avoir pas à le lire plus tard. »
    Si je les surprenais, je dirais : « Ah ! bien ! Pas besoin de vous demander si vous faites vos petites affaires. »
A une dame : « Vous devriez prendre quelques amants. »
Pas si fort ! Vous dites toujours la vérité en criant.
- Ce sont des femmes qu'on ne salue pas.
- Oui, mais on se découvrirait bien tout entier devant elles.
Un mot d'acteur : « Un philanthrope, je sais ce que c'est ; c'est un monsieur qui aime les hommes. »
Elles veulent bien jouer les rôles de vieilles femmes, mais pas les rôles de femmes mûres.
Le portrait de mon père est sur mon bureau, et à chaque instant je le flanque par terre.
Un mauvais livre, c'est encore plus fort qu'une bonne pièce de théâtre.
17 novembre.
- Vous n'avez pas de défauts.
- Si, madame, mais je les garde pour l'intimité.
Quand on croit qu'il y aura beaucoup de monde à un enterrement, on y va, et ça finit par faire beaucoup de monde.
L'admiration se passe de l'amitié. Elle se suffit à elle-même.
19 novembre.
Le Pain de ménage. Hier, lecture chez Guitry à Mlle Brandès et à Bernard.
    Des violettes jetées sur une nappe où déjà sont brodées des violettes. Un buste, qui a cette originalité qu'on ne sait pas qui c'est. Brandès, qui est la Parisienne, dédaigne trop la tragédie, et Andromaque, qu'elle va jouer.
Une belle vue sur la place Vendôme où, par ce temps de Dreyfus, il ne manque qu'une guerre civile.
Je lis. Murmure flatteur, des « Oh ! que c'est bien ! » Et j'ai la coquetterie de lire plus vite, pour qu'on ne m'interrompe pas.
22 novembre.
- Elle est moins jolie que vous.
- Elle n'y a pas de peine.
Il appartient à une très honorable famille, comme tous les voleurs.
Bien connu sur le pavé de la littérature.
Je dis de Rostand : « C'est le seul homme que je sois capable d'admirer en le détestant. » Ça craque, ça craque.
Triste comme une amitié morte.
Voilà encore un bel acte que j'écrirai sur l'amitié.
Bien peu de femmes dans mes pièces, par économie de fleurs.
Tout fier de sentir en moi l'inquiétude de Rousseau, avec toute la différence qu'il peut y avoir entre des fourmis et un vautour rongeur de foie.
23 novembre.
Elle n'était pas folle, folle à lier, mais elle n'avait pas sa tête à elle.
    On en profitait. Elle faisait des journées au moulin de Marigny, et, comme c'eût été lui rendre un mauvais service que de lui donner de l'argent, on la payait, tantôt avec deux ou trois bûches pour son chauffage, tantôt avec un panier de pommes de terre.
Elle a eu deux enfants, mais elle ne se rappelle plus guère de qui. C'est presque comme si elle les avait eus toute seule.
C'était une petite vieille rabougrie. Plusieurs fois, le soir, quand nous revenions de faire un tour de promenade, nous l'avons rencontrée qui rentrait du travail. Elle

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