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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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demandez-vous ? » d'une voix où il mettait tout son protocole. Si Collache ne m'avait pas prêté sa canne à poignée d'argent, si j'avais gardé mon parapluie, j'étais perdu.
Un vieil abonné faisait contraste : habit et gilet de velours. Entre lui et moi, il y avait toute cette distance, plus celle de nos âges. Et il me regardait avec des yeux de rival, condamné à céder à la jeunesse même laide.
A La Revue blanche on me pousse contre Barrès : « Attrapez-le donc ! Ce serait drôle. C'est un dévoyé. Il n'a plus en littérature les mêmes idées que nous. »
- Mais, dis-je, comment voulez-vous qu'un homme habitué à lire Goethe et Renan soit très différent de moi ? S'il l'était, j'avoue que je serais inquiet pour moi.
1er mars.
Mallarmé, intraduisible, même en français.
5 mars.
Quand un acteur est mauvais, l'applaudissement le rend pire.
8 mars.
Est-ce que, mort, mon père ne me soutire pas par les pieds l'énergie que j'avais ?
Baïe. Quand elle est fâchée avec son chat, elle lui dit « vous ».
- Est-ce que c'est Flaubert qui a mis sa culotte à l'envers ? demande-t-elle.
    Si mignonne que, si vous vouliez vous pendre, vous n'auriez pas le poids.
Rodenbach. Triste rire cassé comme celui d'un visage dans une eau où l'on a jeté des pierres.
Il y a des pièces en trois actes dont les deux premiers n'ont été faits que pour donner au public le temps de s'asseoir.
11 mars.
Tout le monde aime les étoiles, les arbres, les sources. Je ne peux vous savoir gré de ce sentiment-là, banal comme celui de l'amour. Je ne vous serai reconnaissant que si, par votre façon de les aimer, vous ajoutez quelque chose à la mienne.
14 mars.
Le Pain de ménage. Et si l'on criait bis ! jusqu'à ce qu'on le joue une seconde fois dans la même heure ?
Dans la satisfaction de mes amis, quelque chose qui m'inquiète, comme s'ils étaient gais parce que ce n'est pas trop, trop bien.
C'est aussi une pièce dont on dit, hélas ! : « Il faudra que je l'entende une seconde fois. »
15 mars.
Le Pain de ménage. Au Figaro, Veber, ce soir :
- Eh ! bien, Renard, avez-vous digéré votre succès ?
- Et vous ? lui dis-je.
Hervieu préfère Plaisir de rompre.
    Ça a été un succès aussi délicieux à la répétition générale, moins l'étonnement. Dès les premières phrases, je suis tranquille. Je ne suis plus auteur, et je me laisse charmer, et j'applaudis comme le public, qui accompagne la pièce comme s'il l'avait écrite. Brandès et Guitry me disent :
- Nous avons dû les calmer d'autorité ; sans quoi, nous n'aurions pas pu dire une phrase.
Trois ou quatre rappels à la fin, et mon nom tombant comme dans une mare à grenouilles charmantes.
Me voilà bien ! Sans ce nouveau succès, j'aurais peut-être fait cinq actes passables. Maintenant, tout m'est interdit, excepté le merveilleux.
Le soir, je rejoins Guitry qui dîne avec Noblet chez Joseph, restaurateur de la rue Marivaux. Ce Joseph découpe un canard comme s'il jouait du violon, et nous sert une fine, si chère qu'il ne peut pas la vendre et préfère l'offrir à ses amis.
Tout de même je n'ai pas osé embrasser Brandès.
18 mars.
Dîner chez Bernard.
- Vous avez de la famille, monsieur Capus ?
- Oui, madame. J'ai une femme, si mes souvenirs sont exacts.
21 mars.
- Depuis que je suis marié, dit Capus, je n'ai jamais mis les pieds dans une autre femme.
Bah !
    Après ma mort, quelqu'un s'apercevra bien qu'au fond j'étais bon.
Et son âme de grue a des yeux de pervenche.
24 mars.
Ma volonté se ride.
27 mars.
Quand je donne un billet de cent francs, je donne le plus sale.
- Comment ! Vous dites qu'il est arrivé, ce poëte ?
- Dame !
- Il n'allait pas loin.
29 mars.
Dîner chez Capus. Son rire réjouissant. Sa petite tête est comme une bille de billard qui tourne et fait de l'effet sur place.
Décidément, Guitry est un homme à part. Il a une façon discrète de charmer. Il raconte ses histoires en ayant l'air de s'excuser de les raconter encore.
30 mars.
Ibsen. L'Ennemi du peuple. Séverine coiffée en copeaux d'acajou. Thadée Natanson, ministre d'Ibsen. Une pièce très claire où, pour une question d'humble voirie municipale, les plus belles idées éclatent. Une pièce comme calquée sur l'affaire Zola. Ibsen applaudi pour un autre.
31 mars.
Dîner Rostand.
    - Enfin, Renard, que feriez-vous à ma place, après Cyrano ?
- Moi ?
Je me reposerais dix ans.
En réalité, je sens qu'il passe par-dessus moi. S'il m'accordait du génie, il se trouverait sublime.

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