Journal de Jules Renard de 1893-1898
avec un crayon taillé trop fin.
Des nuages pour front de jeune fille.
L'enfant dit en regardant la carte :
- Il doit être joli, ce pays-là ! Il est tout vert.
Tout malheur qui ne m'atteint pas n'est qu'un rêve.
- Un jour, une femme m'a fait une déclaration, et je me suis endormi.
- Oh !
- Dans ses bras.
L'envie, le sentiment le plus fortifiant et le plus pur.
Colombophile, il ne manque pas un tir aux pigeons.
Roulées. C'est l'oeuf de Pâques. De porte à porte les enfants de choeur vont chercher leurs roulées. L'un agite une sonnette et l'autre porte un christ que les hommes baisent en disant : « L'avez-vous bien débarbouillé, au moins, hier soir ? » Aux gamins, on donne un oeuf teint en rouge, en jaune ou en bleu, où l'on fait des dessins en y laissant couler de la bougie.
Un jour qu'on leur donna trop à boire, les enfants de choeur, ivres, allèrent se coucher dans la paille et dormirent tranquillement.
Un petit peu de gloire me suffit, juste assez pour n'avoir pas l'air d'un imbécile dans mon village.
Le soleil n'est pas encore couché, et la lune se lève, pour voir ce fameux soleil dont on parle tant.
Elle a eu une mention à La Mode pratique pour un cordon de sonnette. Tout Corbigny s'en est ému.
Si je ne suis plus jeune, je voudrais bien savoir à quelle heure de quel jour ma jeunesse m'a quitté.
La cane essaie de sauter un mur et de passer une haie. Arrivée à moitié du mur, elle retombe lourdement. Elle n'insiste pas. Elle va chercher le canard. Tête droite, tous deux regardent le mur, cherchent un trou dans la haie. De temps en temps, ils y renoncent, font le tour par le pré, tondent un peu d'herbe, et reviennent.
La cane entre dans la haie, à mi-corps ; mais c'est trop épais : elle y renonce.
Ils font le tour du pré, perdant leur journée, et la mienne.
Et leurs salutations saccadées.
C'est un acte embrouillé. Il faudrait un vaudevilliste pour nous sortir de là.
On croit qu'ils vont s'envoler, mais ils n'osent pas.
Fantec content parce qu'il pourra enfin écrire son âge avec deux chiffres.
Oh ! ne pas tant vivre, végéter seulement !
Elle touche à la terre comme l'hirondelle au lac.
L'ombre froide du printemps. Des éclaircies de bruit, de vent.
Leur goût du travail, c'est de ne pas pouvoir « rester à rien faire ».
Ils s'ennuient. Ils ne savent pas rêver comme moi. Leur paresse serait de la vraie paresse, et j'ai tort de me rudoyer. Je les défie de paresser comme moi. C'est peut-être là mon unique supériorité sur eux ; si le mot choque, disons que c'est ma différence.
Que de mots dont je ne me suis pas encore servi ! « Caduc », par exemple.
Comme la terre, mon courage a besoin de pluie.
- A partir de quelle ville qu'on n'est plus dans Paris ? demande Baïe.
Comme je regarde la rivière, les laveuses se disent : « Qui donc ce monsieur-là ? » Et elles me prennent pour un de ces messieurs des Eaux et Forêts.
Saules. Des troncs d'arbres sans branches sortent de terre comme des poings.
N'écris que par lassitude de regarder.
Le petit feu que font deux moitiés de bûche rapprochées.
Voyeur de la nature.
Ces petits riens, ces petits froissements qui sont pour l'amitié ou pour l'amour comme une gelée blanche.
J'ai coupé ce matin quelques branches qui me cachaient la moitié de mon horizon, une partie de la terre.
Ne me demandez pas d'être bon : ne me demandez que d'agir comme si je l'étais.
Avoir dans une cabane des rêves d'empereur.
En notre siècle de peu de foi, « sans doute » a le même sens que « peut-être ».
Avec la peur d'être vu et de me voir, j'ai embrassé très vite une photographie de mon père.
Mes façons de penser, je les emprunte volontiers : je ne tiens qu'à mes façons de sentir.
« On ne peut pas travailler à Paris. » « On ne peut pas travailler à la campagne. » Remplacer ces formules par « On peut travailler partout ».
Je pense quelquefois comme Renan, et je ne parle jamais mieux que Philippe.
Deux hommes qui ne se connaissent pas sont capables, par amour-propre, de passer l'un à côté de l'autre, dans un désert, sans se saluer.
Un soleil pâle, le soleil qu'il faut à des arbres qui n'ont pas encore de feuilles pour faire de l'ombre.
Quel calme ! J'entends toutes mes pensées.
A chaque instant il faut que je retrousse mon âme qui traîne.
Il n'y a aucune différence, pour moi, entre la lune et son reflet dans le canal.
Le facteur s'est acheté un petit âne pour aller plus doucement.
Un saule coiffé comme Alphonse
Weitere Kostenlose Bücher