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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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aimons donc Ibsen ! voilà le grand.
Quant à la foule, le peuple, il ne l'aime plus.
Abîme entre l'artiste et les masses. Il est revenu de tous ces bas-fonds.
Il faut tout de même se forcer pour admirer Rochefort. Toute sa tableauterie me dégoûte. Ce richard qui bougonne, ça devient une scie déplaisante. On peut dire de lui, banalement, qu'il a passé toute sa vie à vouloir se rendre intéressant.
4 février.
Hier soir, cherché un nom pour notre maison de Chaumot On choisit la Gloriette, qui signifie petite maison de plaisance, et aussi parce que c'est un diminutif de gloire et que « Gloriette » engage, oblige un homme de lettres.
L'Herbe. Je veux tâcher de mettre un village dans un livre, de l'y mettre tout entier, depuis le maire jusqu'au cochon. Et ceux-là comprendront la beauté du titre qui ont entendu un paysan dire : « L'herbe pousse », ou : « C'est un beau temps pour l'herbe », ou : « Il n'y a plus d'herbe. »
Ils ont de grosses têtes, comme des bûches, avec des noeuds qui m'écorchent et que je ne sais par quelles cornes prendre.
    J'ai acheté cette maison pour être heureux. Papon, que je rencontre, me dit :
- Ah ! vous avez l'air heureux, vous.
Et je lui réponds :
- Mon brave Papon, je n'en ai pas que l'air : je le suis.
- C'est parce que vous avez eu de la chance me dit-il. Vous êtes bien tombé.
Et il s'éloigne. S'il avait raison ! Si j'étais seulement bien tombé, moi qui m'imagine avoir créé mon bonheur moi-même par mon application, ma persévérance, mon sens de la vie, disons-le : par mon intelligence ! Si je n'étais que bien tombé !
De loin, mes amis, je vous juge. Toi, tu veux gagner beaucoup d'argent ; toi, puérilement dominer et tu désires une gloire en gros ; toi, tu t'écartes de façon qu'on te voie t'écarter ; toi, tu passes ta littérature à écrire du mal d'un monde où tu ne peux t'empêcher d'aller. Oh ! vous êtes tous très remarquables. Vous êtes de beaux cerveaux, mais vous avez des buts comiques, et je ris bien, sur ma butte.
Il faut le strict nécessaire, et il faut ne s'en écarter ni en dedans, ni en dehors : en dehors, c'est de la sottise, en dedans, c'est de l'orgueil.
Je me fais nommer maire et je me dis : « Il y a cent personnes autour de moi.
    Je peux les rendre heureuses. Imitez-moi. Que chacun de vous en fasse autant. Je commence. » Le principal personnage de mon livre, le héros, c'est le bonheur. C'est à lui qu'il faut s'intéresser, souhaitez qu'il ne vienne pas à la fin.
De ma fenêtre, je vois le canal, la rivière, des bois. Je ne veux rien mépriser, et, si je pouvais faire consciencieusement de la politique, je le jure, mon cher Barrès, j'en ferais.
6 février.
Tout petit, je passais pour une mauvaise tête. Il faut maintenant que, dans mon cher pays, je me fasse une réputation de bonté.
8 février.
Le ver à soie file un mauvais cocon.
La neige tourbillonne comme une Loïe Fuller. Ses râclures de corne. Il ne reste sur les champs que des morceaux de neige déchirés. Une bourrasque : elle tombe horizontale.
Le bruit de mort d'un tombereau qui roule sur la terre gelée. Ces hommes qui travaillent dans la neige ont l'air de s'être frottés contre un mur. Un temps où les bouillottes sont enviées.
9 février.
L'ami qu'on rencontre et qu'on hésite à tutoyer, et la petite comédie à deux qu'on joue.
- Voyons, Bernard, dit Natanson, donnez-nous une nouvelle pour le prochain numéro de La Revue blanche.
    Je compte sur vous, n'est-ce pas ?
- Bien, bien. Quand faudra-t-il venir vous essayer ça ?
11 février.
La chaleur légère, ailée, d'un feu de bois.
12 février.
Il y a les bons écrivains, et les grands. Soyons les bons.
Dans les salles de rédaction, il me semble que je perds mon temps sous moi.
13 février.
Hier, Rod me racontait la lamentable odyssée de Duchosal à Paris. Comment ce cul-de-jatte manchot a-t-il pu y arriver et y circuler ? En se traînant. Il est allé voir Rod à Auteuil, et, dit Rod, il n'a fait que tousser, cracher et se moucher dans sa serviette. Et, comme un autre sourd était venu de Genève à Paris (ils ont tous la manie de quitter Genève, dit le Genevois Rod). Duchosal a eu un mot sublime dit encore Rod : « Comment peut-il venir à Paris, lui un infirme ! » Et le pauvre Duchosal comptait sur des arcs de triomphe, lançait de tous côtés des télégrammes : « Je suis à Paris. Je vous attends à l'hotel de... » Mais ses amis le fuyaient comme la peste.
Oui : le conte que j'écris existe,

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