Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
Vom Netzwerk:
a, à la gauche de Sarah, un docteur, l'inévitable docteur des romans, des pièces de théâtre et de la vie.
    Il explique à Sarah pourquoi elle a entendu, cette nuit, frapper 21 coups, et pourquoi son chien a aboyé 21 fois.
Puis, c'est la revue des mains : je suis très lunaire. Je dois aimer la lune, parler d'elle, être influencé par ses variations. Je parle en effet beaucoup de la lune, mais je la regarde rarement. J'ai dans le pouce beaucoup plus de volonté que de logique. C'est vrai. Rostand a le contraire ; et Sarah prend et reprend ma main, qui est blanche et grasse, mais dont je soigne mal les ongles. Je ne les ai jamais vus comme ce soir, ni esthétiques, ni très nets.
- Oh ! nous avons pioché ça ! dit Maurice Bernhardt au bout de la table.
Je crois plutôt que Sarah improvise. D'ailleurs, elle ne trouve rien.
Puis Mme Maurice Bernhardt renverse sur la nappe un verre où il y a des fleurs et de l'eau. Me voilà inondé. Vite, Sarah trempe ses doigts dans l'eau et me frotte la tête. Me voilà heureux pour longtemps.
Sa loi, c'est de ne jamais penser au lendemain. Demain, ce sera n'importe quoi, même la mort. Elle profite de chaque minute. Elle ne se rappelle pas quel pays elle préfère, de tous ceux qu'elle a vus, ni quel succès l'a le plus fortement émue. Elle a songé à jouer Maison de poupée, mais elle trouve que, Ibsen, c'est trop voulu. Non ! Elle veut de la clarté dans l'idéal. Elle aime trop Sardou pour aimer Ibsen. Et je lui dis ce que j'ai pensé d'elle à ma première visite :
    - Vous êtes grasse, jolie et gentille.
La Sarah que je connais par sa renommée, qui tient un demi-siècle de place, me trouble et m'étourdit ; mais la femme que j'ai là, près de moi, ne m'épate pas trop.
Puis voilà les plaisanteries : « Savez-vous pourquoi les grenouilles n'ont pas de queue ?... Moi non plus. » « Quand deux jeunes mariés sont couchés, qu'est-ce qui fond ? C'est la bougie », etc. On ne se croirait plus chez la « grande ». Et ce sont les ressemblances avec les bêtes. Sarah est sûre de ressembler à l'antilope, Rostand à un rongeur, sa femme à un mouton, Maurice à un limier, sa femme à une chouette. Moi, on ne sait pas. J'ai peut-être trop de front pour un animal.
- A la première ligne que j'ai lue de vous, me dit Sarah, j'ai pensé : Cet homme-là doit être roux. Pourtant, les roux sont méchants. D'ailleurs, vous êtes plutôt blond.
- J'étais roux, franchement roux, et méchant, madame, mais, à mesure que la bonté me venait par la raison, mon poil passait au blond.
Et autres puérilités.
Haraucourt annonce gravement mon admiration pour Victor Hugo. « Il avait tant d'esprit ! » dit Sarah. Hugo lui a donné une bague, la « larme » de Ruy Blas. Il paraît, à ce propos, que Robert de Montesquiou, a une vraie larme dans une bague, et, dit le docteur, il a même fait des vers, qui sont, ma foi, très jolis.
Au salon.
    Des palmiers avec une lampe électrique sous chaque feuille. Une petite fille en terre brune, sous cloche, que Sarah finira à son retour. Des portraits, et des tas de choses de musée.
Moins cabotine que les autres, elle dit :
- J'ai voulu tout faire, écrire, sculpter. Oh ! je sais que je n'ai aucun talent, mais j'ai voulu goûter à tout.
Ce serait une belle maîtresse de volonté.
Voici le lion, un des cinq « pumas » de Sarah Bernhardt. On le tient par une chaîne. Il vient flairer les peaux et les gens. Il a des allongements de cuisse terribles, des griffes, et Haraucourt fait bien de fermer les yeux quand le puma veut lui caresser son plastron de chemise. Enfin, un peu au soulagement de tous, on le remmène...
Arrivent deux énormes chiens au nez rose et truffé, et qui mangeraient chacun un enfant pour leur souper. Ils se roulent par terre, doux, honnêtes, et nos habits seront tout à l'heure pleins de petits cheveux blancs.
Une bouteille de champagne se renverse dans les mains du garçon. Le bouchon part, et Sarah, couchée sur sa peau d'ours, reçoit la limonade en plein visage. Un moment, j'ai cru que ça faisait partie du programme...
Je ne cherchais pas, ce soir, mon chapeau, qui était sur ma tête, mais j'emportais tranquillement à la main celui d'un autre.
6 janvier.
Il raffinait jusqu'à tendre des pièges dans la cage de son oiseau.
    Ah ! Tu viens de marcher sur les pieds de mon âme.
8 janvier.
Rêvé que je voyais M.G..., M. Vernet. Il s'en allait la tête basse, les yeux morts et les moustaches pleurantes. Pris d'une folle

Weitere Kostenlose Bücher