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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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on n'aurait pas besoin de faire un choix dans l'oeuvre de V... pour l'empêcher d'entrer à l'Académie.
- Capus, je retiens une loge pour la 80e.
- Oh ! dit Capus, ce jour-là, je vous donnerai toute la salle.
    - Je vous ai bien applaudi, l'autre soir, dans Amants.
- Et moi, dit Guitry, je vous admire toujours. Vous devriez bien nous donner quelque chose.
- Vous êtes le seul qui puissiez jouer Caquets de rupture mis au point.
- Faites-le.
- Je considère ça comme un encouragement.
- Prenez-le de ma part comme un engagement.
- Je vous donne rendez-vous dans un mois.
Et me voilà tout fiévreux, et j'ai dans les yeux un théâtre illuminé où je triomphe. Oh ! les bonnes heures délicieuses que j'aurai !
7 février.
Rostand. Il a un bel atelier : il n'y travaille pas. Il travaille dans une chambre à coucher, sur une petite table branlante. Avec Les Romanesques, il s'est offert un beau cabinet de toilette, baignoire, et bidet près de la baignoire. Sa belle-soeur entre, et lui dit « Bonjour, cher maître. »
Il s'isole de plus en plus. Il nous trouve faux, menteurs, méchants et rapaces.
Il écrit sur des feuilles volantes et, sur les marges, griffonne des dessins, dont quelques-uns, dit Mme Rostand, sont, ma foi, très jolis.
Il se dit capable de trouver du talent aux hommes qu'il hait, ou qu'il méprise.
    - Le modeste demi-deuil de sa robe à pois blancs, dit Rostand de la pintade.
Je n'ai vraiment qu'une raison qui me permette d'aimer encore Rostand : c'est ma crainte qu'il ne meure bientôt.
- Eh ! bien, qu'est-ce que vous avez à me dire ?
C'est sa façon de m'accueillir ce soir après m'avoir fait poser.
- Vous êtes insupportable ! lui dis-je. Je reste jeune, et je vous laisse à votre vieillesse. Bonjour !
Rompons ! dit-il.
Et il a des yeux petits et minces. Il frise sa moustache. Il est pâle.
- Rostand, il n'y a plus que quelques ficelles entre nous, quelques harpons menus que je couperai.
- Coupez !
Et, comme je ferme la porte, j'entends :
- C'est assommant, par exemple !
Je me retourne. Je lui dis au revoir, et que l'air est délicieux.
- Amusez-vous bien, me dit-il.
Je tremble, et il a les lèvres blanches. Et peut-être que tous deux nous éprouvons un plaisir âcre à nous tourner le dos.
Un ami de moins, quel soulagement !
10 février.
Le « je ne sais quoi » d'une femme, il n'y a que ça qui compte.
    Salomé, d'Oscar Wilde. C'est impressionnant, mais il faudrait supprimer encore, çà et là, quelques têtes d'Iokanan. Il y en a trop, il y en a trop ! Et que de cris inutilement répétés, et que de richesses en toc !
Rostand, je lui souhaite une bonne maladie qui le mène aux portes de la mort et lui fasse rebrousser chemin vers la vie.
Jardin d'Acclimatation. Je vois dans une cage un petit animal qui va et vient avec une opiniâtreté noire. Il n'est pas laid : il est comique. Je sais bien à quoi il ressemble, mais je n'ose pas dire que c'en est un, et j'arrive au gardien.
- Qu'est-ce, monsieur, que ce petit animal nouveau qui n'a pas d'étiquette ?
- Ça ? Attendez donc ! me répond-il. Je ne me rappelle pas son nom. Il y en avait deux, vous savez bien, qui couraient dans l'herbe, la semaine dernière, l'un après l'autre. Diable de nom ! Je l'ai sur le bout de la langue.
Il cherche. Nous cherchons ensemble.
- Ah ! dit-il soudain, j'y suis ! Je me rappelle. Eh ! bien, monsieur, c'est un petit chien.
Il y a des amis. Il n'y a pas de vrais amis.
Réconciliation de deux amis. Tout à coup, le coeur, qui était sec, dur et racorni, s'amollit et se dilate, comme s'il tombait dans l'eau pure.
    Herodias. Relu ce conte de Flaubert. Il me donne l'impression de quelque chose d'ennuyeux, d'inutile, et de mal écrit. P. 173 : « Sans avoir reçu ces ordres, Mannaeï les accomplissait, car Iokanan était Juif, et il exécrait les Juifs, comme tous les Samaritains. » Qui, il ? P. 171 : « Tout à coup, une voix lointaine... Il se pencha pour écouter ; elle avait disparu. » Une voix qui disparaît. P. 180 : « Il devint immobile. »
Mme Rostand vient me voir ce soir, et, dès ses premières paroles, je lui dis que j'aimais Rostand comme un frère plus jeune et malade, mais que je ne peux plus le voir, et que nous en viendrions aux gifles.
Elle sait, elle sait. Au père de Rostand elle vient d'écrire trente pages éplorées. Que faire ? Il couve un suicide. Il parle de se faire prêtre. Il se détache de tout et dit que c'est le commencement de la sagesse. Il ne se lève de son lit que pour s'asseoir, et

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