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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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Oui, et à vous le Théâtre-Français.
Aujourd'hui, toute pièce rosse est une erreur chronologique.
Ce que je reproche à Forain, c'est de n'avoir peut-être jamais lu un beau vers.
Sarah Bernhardt. Je cherche une épithète pour résumer mes impressions. Je ne trouve que celle-ci : « Elle est gentille. » Je ne voulais pas la voir. Maintenant, j'ai brisé l'idole ridicule et gênante que je faisais d'elle. Il reste une femme que je croyais maigre, et qui est grasse, que je croyais laide, et qui est jolie, oui, jolie comme un sourire d'enfant.
Quand Rostand a dit : « Je vous présente Jules Renard », elle s'est tout de suite levée de sa table et a dit d'un ton joyeux, puéril, adorable :
- Oh ! comme je suis contente ! Il est bien tel que je le croyais, n'est-ce pas, Rostand ? Monsieur, je suis votre admiratrice.
    - Madame, c'est une stupéfaction dans ma vie d'apprendre que vous puissiez admirer les oeuvres (j'ai dit : les oeuvres) de Jules Renard.
- Pourquoi ? dit-elle. Vous me preniez donc pour une imbécile ?
- Bon ! J'ai dit une maladresse.
- Mais non !
Et elle se met du rouge aux lèvres.
Plus tard, dans l'escalier, j'ai trouvé ceci : « Non, madame, je vous prenais pour une femme de génie, avec tous ses inconvénients. » C'était peut-être plus bête encore.
- Sentez comme j'ai froid ? dit-elle en passant sa main sur la joue de Rostand, qu'elle appelle « son poëte », « son auteur ».
- En effet, elle est glacée, dit Rostand.
Et les mots qui ne me viennent pas ! Impossible d'être brillant. Je suis très ému, pris, et je voudrais faire l'homme.
- Que faites-vous en ce moment, Renard ?
- Madame, je viens de faire quelque chose de beau : je viens de vous écouter.
- Oui, vous êtes un amour. Mais que faites-vous ?
- Oh ! très peu de chose. De petits riens, des histoires naturelles des bêtes.
    Elles sont moins belles que celle-ci, dis-je en désignant son chien un superbe chien qu'elle appelle Djemm, je crois.
Et ma voix de pauvre homme se perd dans les poils du chien.
- Savez-vous, dit-elle, à qui vous ressemblez ? Vous l'a-t-on déjà dit ?
- Oui : à Rochefort.
- Non : à Albert Delpit.
Deux autres voix :
- A Duflos... A Lemaitre.
Je trouve que je ressemble à beaucoup trop de personnes.
- Et vous l'aimiez, madame, Albert Delpit ?
- Non.
- Oh !
- Mais, vous, je vous aime. Delpit a mal tourné, vous, vous tournerez bien. D'ailleurs, c'est fini. Vous ne pouvez plus prendre de fausse direction.
Autour de nous, on paraît un peu étonné que la tragédienne s'occupe tant de moi. On demande : « Qui est-ce ? » Les uns connaissent, les autres, pas.
Puis elle va jouer la plus belle tragédie du monde, toute seule.
Pourquoi dit-elle « cruel-e, soleil-e » ? Il faut m'y faire. Je m'y fais. J'ai déjà pour elle une grosse gratitude au coeur, l'envie de l'admirer, de l'aimer, et la peur de me laisser aller. Je fais à Rostand de petites théories sèches sur la défiance que j'avais d'elle et sur le plaisir que j'ai à la trouver gentille, oui, gentille.
    Il m'est difficile de faire du théâtre parce que tous mes bonshommes m'intéresseraient également. A chacun d'eux et à tous je donnerais raison.

- 1896 :
    1er janvier.
Je veux faire une année exceptionnelle, et je commence par me lever tard, par trop bien déjeuner et par dormir dans un fauteuil jusqu'à trois heures.
2 janvier.
Chez Sarah Bernhardt. Elle est couchée près d'une cheminée monumentale, sur une peau d'ours blanc. D'ailleurs, chez elle on ne s'assied pas : on se couche. Elle me dit : « Mettez-vous là, monsieur Renard. » Là ? Où ? Entre elle et Mme Rostand il y a un coussin. Je n'ose m'y asseoir, et je m'agenouille aux pieds de Mme Rostand, et les miens dépassent, dépassent, comme dans un confessionnal.
On craint le nombre treize. Maurice Bernhardt est là, avec sa jeune femme enceinte. Pour passer dans la salle à manger, Sarah me prend le bras. J'en oublie de lever les tentures. Je la lâche à la première assiette, mais c'est tout là-bas qu'il faut aller, vers cette grande chaise à dais. Je m'assieds à la droite, et je ne vais pas beaucoup manger. Sarah boit dans une coupe d'or. Je ne me décide pas à ouvrir la bouche, même pour réclamer ma serviette qu'un garçon m'a enlevée, et je mange ma viande avec ma fourchette à fruits. Tout à l'heure je me surprendrai à déposer proprement sur mon porte-couteau mes asperges sucées. Certain plateau de verre m'intriguera aussi : on y met sa salade. Heureusement, il y

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