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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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D'abord les mots ne lui vinrent pas. Il marqua son indignation et son mépris par un redressement du buste et des épaules. Ce fut sans doute là l'offense cruelle.]
    14 août.
- Dans nos joies les plus expansives, gardons toujours au fond de notre âme un coin triste. C'est notre refuge, en cas d'alarme subite.
La Fontaine. Qui fut plus humble que lui en apparence, et plus libre en réalité ?
17 août.
Il ne me manque que le goût de l'obscurité.
Septembre.
La rivière. Les roseaux, baïonnettes de régiments noyés. Bords spongieux où le soleil s'emplit d'eau. Trois lignes en éventail.
La tempête. Des arbres tourbillonnent sur pied, les bras en l'air comme des soldats frappés au coeur. Les maisons s'accroupissent, tremblant comme des navires à l'ancre. Les girouettes ne savent plus où tourner. État d'esprit où l'on n'aurait de plaisir qu'à marcher dans la campagne par une tempête. Les poires tombent. Les pommes de terre se découvrent. Les peupliers, toutes feuilles du même côté, ramènent leurs cheveux sur leurs tempes.
Le lièvre. Le bruit menu de la feuille qui tombe l'agace. Il s'énerve comme nous si nous entendons craquer nos meubles.
Rentrée à Paris, 9 octobre 96.
Comme une locomotive tirée sur la route par des boeufs.
Mon cerveau. Un gaufrier de mots.
Bucoliques. La façon tranquille de se battre des animaux.
    Deux béliers furieux se donnent un coup de tête, se remettent à manger, puis, de nouveau, sans passion, se précipitent l'un sur l'autre.
Même observation pour les coqs.
Un bon petit gars paysan, c'est un petit qui ne dit pas merci quand on lui donne des groseilles.
- Mon Dieu ! s'écrie Mme Lepic. Qu'est-ce que j'ai donc fait pour être aussi malheureuse ! Ah ! mon pauvre Poil de Carotte, si jamais je t'ai fait des misères, je t'en demande bien pardon.
Elle pleurait comme le chéneau du toit.
Puis, soudain, le visage sec, elle disait :
- Ah ! si ma pauvre jambe ne me faisait pas tant souffrir, je me sauverais d'ici. J'irais gagner ma vie en lavant la vaisselle dans une grande maison.
Ce qu'il y a de plus dur à regarder en face, c'est le visage d'une mère qu'on n'aime pas et qui fait pitié.
L'heure triste où l'écrivain cherche un maître.
Les paysans, un peu de terre agitée.
Premier tour de boulevard. C'est là, non à la Gloriette, qu'est le désert.
Est-ce qu'un poëte a besoin d'observer la vie !
Comme un amant que sa maîtresse appelle son chien, et qui lui dirait : « Ma chienne ! »
15 octobre.
Elle aime mieux adopter un enfant que d'en avoir un : ça fait moins mal.
    Le réserviste. Peu à peu je perdais pied, et je ne voyais plus au-dessus de ma tête tout ce ciel plein d'idées où je vivais naguère.
Et votre grand'mère est bien toujours morte, n'est-ce pas ? Je ne me trompe pas ?
16 octobre.
Un bon classique ne va pas sans un peu de médiocrité.
Il n'avoue son âge que pour être mieux placé dans les banquets.
17 octobre.
Barrès fait de la politique comme Jules Favre a fait des vers.
Le plus grand homme n'est qu'un enfant que la vie a trompé.
18 octobre.
Poil de Carotte secret.
Je voudrais être un grand écrivain pour le dire avec des mots si exacts qu'ils ne paraîtraient pas trop naturels.
Nous nous servions mal de nos bouches. Elle ignorait, comme moi, l'usage de la langue. Nous ne pouvions que nous donner, sur les joues et sur les fesses, des baisers insuffisants. Je lui chatouille le derrière avec une paille. Puis, elle m'a quitté. Je ne me souviens pas que son départ m'ait fait du chagrin. Sans doute était-ce pour moi une délivrance ; déjà, je n'aimais pas à vivre de réalités : je préférais vivre de souvenirs.
    Mme Lepic avait la manie de changer de chemise devant moi. Pour nouer les cordons sur sa gorge de femme, elle levait les bras et le cou. Elle se chauffait aussi à la cheminée en retroussant sa robe au-dessus des genoux. Il me fallait voir sa cuisse ; bâillant, ou la tête dans les mains, elle se balançait sur sa chaise. Ma mère, dont je ne parle qu'avec terreur, me mettait en feu.
Et ce feu est resté dans mes veines. Le jour, il dort, mais, la nuit, il s'éveille, et j'ai des rêves effroyables. En présence de M. Lepic qui lit son journal et ne nous regarde même pas, je prends ma mère qui s'offre et je rentre dans ce sein d'où je suis sorti. Ma tête disparaît dans sa bouche. C'est une jouissance infernale. Quel réveil douloureux, demain, et comme toute la journée je serai triste ! Aussitôt après, nous redevenons

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