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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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me répond une lettre qui me fait rougir. Me voilà bien !
Et je prévois que ce n'est pas mon dernier mensonge.
Pourquoi suis-je ici comme en exil ? Qu'est-ce que j'y fais ?
J'ai horreur du mot « ratiociner ».
Aujourd'hui, vendu mon foin trente francs.
- Trente francs la botte ?
- Oui, mais l'acheteur met tout dans la même botte.
C'est le premier argent que me rapportent « mes terres », et c'est le prix que m'a été payé mon premier conte à L'Écho de Paris. Si l'agriculture manque de bras, je lui en donnerai : j'écarte les miens.
9 juin.
Un enterrement de village au soir d'un jour de semaine. On se croirait à un soir de dimanche.
    Le vent passe dans les feuilles sa main invisible.
11 juin.
Quel spectacle, un vieux paysan nu !
Je me sens triste comme un Verlaine de campagne.
13 juin.
C'est la coutume, ici, qu'une fois par an le garde-champêtre et un maçon aillent, à l'entrée de l'hiver, dans toutes les maisons du village, faire une tournée de sûreté. Ils visitent les cheminées, tâtent les fours et boivent la goutte. A la dixième maison, ils sont saouls. Ils touchent chacun trois francs par jour, et ça dure trois jours.
Cette année, quand Papon est venu dire au maire qu'il allait faire sa tournée, papa, qui avait dû déjà le mettre à la porte l'année dernière, a supprimé cet usage qui ne repose sur aucun texte de loi. Il a dit à Papon :
- Si ça te rapporte neuf francs, j'aime mieux t'en donner dix-huit pour que tu te tiennes tranquille.
Malgré les gouttes, Papon a répondu :
- Comme vous voudrez. Moi, ça m'est égal, monsieur le maire.
Mais papa a oublié de donner les dix-huit francs.
16 juin.
Je prétends qu'une description qui dépasse dix mots n'est plus visible.
Oh, réveiller tous ces villages qui dorment !
    Elle est assez originale pour trouver que le lys est une fleur bête.
Juillet.
Tuer les rats qui mangent mes cerises, pourquoi ? J'aime mieux acheter une demi-livre de cerises qu'une demi-livre de poudre.
A Paris, on a l'air de vivre, on entend du bruit, on en fait, on dépense peut-être plus qu'on ne gagne ; mais, ici, peut-être qu'on est mort.
Le vent, lutteur aux membres dispersés.
Ragotte traverse la vie. Elle va à la mort avec sa brouette de linge.
C'est une duperie que de s'efforcer d'être bon. Il faut naître bon, ou ne s'en mêler jamais.
Comme il serait intéressant, ce fait divers où l'on voit trois personnes assassinées, si vous étiez du nombre, mon cher ami !
Après avoir lu une leçon du professeur Carl Vogt sur l'utilité de la taupe, j'en ai tué une d'un coup de carabine. Je la voyais soulever son dôme de terre fraîche : deux fois je l'ai détruit. Elle recommençait. Puis, j'ai débouché son trou. Elle est venue mettre le nez à l'air. Je l'ai tuée comme un rien, avec ma foudre à moi, en me forçant un peu, pour voir comment c'était fait. Ça a dû être pour elle comme le tonnerre serait pour moi, s'il me tombait sur la tête. Je l'ai tuée comme si j'étais un dieu !
    Elle était au milieu de l'allée. Elle ne faisait pas de mal à mes pieds de salade, auxquels je tiens si peu. Je l'ai tuée. Pourquoi ? Pourquoi ? Et mon chat vient de déposer sa crotte dans la housse de mon fauteuil, et je ne lui ai rien dit.
Taupinières, la chair de poule des prés.
Il y a 25° à l'ombre, et Philippe, qui brouette du sable en plein soleil, dit :
- Ma foi, il fait bien doux !
Il a bien un chapeau de paille, mais il se lève de si bonne heure qu'à cause de la fraîcheur du matin il oublie toujours de le mettre.
9 juillet.
Je voudrais faire faire un petit pas à la littérature vivante, à la vie dans la littérature.
Un ménage pauvre où l'on désire une fille qui servira de bonne.
Un style roux. Si les littératures ont des couleurs, j'imagine que la mienne est rousse.
Nuages, nuages, où courez-vous ? On est si bien ici !
Une bouche un peu de travers, comme une cerise pendue à l'oreille.
Attendez ! J'ai jeté ma ligne en moi. Le bouchon remue.
L'orage. La force de cacher ses peurs à ses enfants.
Je ne sais pas trop où je suis né, et cela me gêne un peu. J'ai toujours l'air de chercher mes racines.
    14 juillet.
Je demande :
- Qui est-ce donc qui préside le banquet de Corbigny ?
- Oh ! tout le monde.
Un grain d'homme au milieu des champs.
Je vois avec stupeur que je ne suis pas fait pour la campagne.
La peur est une brume de sensations.
Je ne suis fait que pour écouter et regarder vivre la terre.
Canard : le pingouin de famille.
Le sureau dont la

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